Martin MALVY est ancien ministre du Budget, Président du Conseil régional de Midi-Pyrénées, Président de l’Association des petites villes de France
Une des originalités de l’école de pensée, qui s’est construite autour de la notion de «développement durable», est d’avoir posé dès l’origine le principe de responsabilité à tous les niveaux, de l’individu à l’insaisissable «communauté internationale». L’idée est en germe à Stockholm en 1972, dans les écrits de Hans Jonas dès 1979, et dans la première définition du développement durable en 1987. Elle s’universalise grâce au sommet de Rio en 1992.
En 1994, la charte d’Aalborg décline l’idée de responsabilité à l’échelon politique local : le mouvement des «villes durables» pose comme postulat que c’est dès le niveau politique de base, la commune, que les citoyens doivent agir et que leur action locale a un impact planétaire. C’est la version politique du fameux postulat formulé par René Dubos dès 1972 : «Penser global, agir local».
Plus personne n’ignore que «la maison brûle». Mais à force d’être répétée, cette réalité est devenue paralysante. La gravité de la situation, sans cesse détaillée, au lieu d’être mobilisatrice est vécue comme insurmontable. J’ai été frappé par la fascination morbide qu’a exercé sur tant de nos concitoyens, à rebours des intentions de l’auteur, le film Home de Yann Arthus-Bertrand : accablement face à la beauté dérangeante des images de destruction de notre Terre… Copenhague aura achevé d’éclairer les plus aveugles sur l’impossibilité de s’en remettre aux seuls accords internationaux : la solution ne viendra pas des grand-messes planétaires. Ou en tout cas, elle ne viendra pas que d’elles.
La crise actuelle n’arrange rien, révélant la superficialité des engagements des convertis de la dernière heure : Nicolas Sarkozy a vendu la mèche en déclarant que «le développement durable, ça commence à bien faire». Et joignant les actes aux paroles, le président de la République a sifflé la fin de la récréation du Grenelle. Le signal le plus spectaculaire fut le moratoire unilatéral puis la baisse brutale du prix de rachat de l’énergie photovoltaïque. Un coup d’arrêt à l’émergence en cours de la filière. Dans la région que je préside, la mesure a bloqué – pour ne prendre que cet exemple – l’équipement en photovoltaïque de 300 000 m2 de toiture de nos lycées, que nous avions lancé par le biais d’un appel d’offres européen. Au-delà de ce type de reculs, 80% des décrets d’application des lois Grenelle n’étaient pas parus fin juin 2011, plus de douze mois après le vote du dernier de ces textes. Le développement durable – en admettant qu’il ait été autre chose pour Nicolas Sarkozy qu’un axe de communication – n’est pas une priorité nationale.
Si l’«agir global» est en panne, «l’agir local» connaît au contraire une vitalité croissante. Partout, les initiatives se multiplient, faisant boule de neige. Collectivités locales, associations, PME, les acteurs locaux n’attendent plus les engagements nationaux ou internationaux pour avancer. Lorsque Midi-Pyrénées – qui avait initié il y a neuf ans les Premières Assises nationales du développement durable – a proposé à l’Association des régions de France (ARF) d’organiser la sixième édition autour de ce thème, à Toulouse, nous avons lancé le pari de réunir sur un même site internet (andd.fr) plus de 1 000 réalisations locales exemplaires. Il a suffi de quelques semaines pour atteindre cet objectif, aujourd’hui largement dépassé. En cette fin de semaine, plus d’un millier d’acteurs locaux de la France entière, voire d’Europe, s’emploieront, à Toulouse ou en ligne, à la démultiplication de ces initiatives de terrain. Elles n’ont rien de spectaculaire ? Peut-être. On nous accusera de rester «au raz des pâquerettes» ? Nous le revendiquerons ! Fatigués des grandes résolutions internationales qui piétinent, les acteurs locaux débordent «d’énergie» lorsqu’il faut inventer, expérimenter des solutions qui nous font avancer pas à pas.
Lorsque la région que je préside a décroché un accord avec la Banque européenne d’investissement – le plus important d’Europe ! – pour mettre 700 millions d’euros de prêts bonifiés à la disposition des producteurs d’énergies renouvelables sur notre territoire, nous contribuons à faire bouger les lignes. Nous le faisons en multipliant par deux en dix ans l’usage du train régional par la rénovation du service et du réseau TER ; en inventant l’éco-chèque pour les travaux d’efficacité énergétique des particuliers et en soutenant la réhabilitation des logements sociaux en région – un pari à 7 000 rénovations par an – ou encore en développant l’agriculture biologique et les circuits courts.
Bien d’autres politiques locales pourraient être citées : la plupart des 1 126 réalisations locales que nous mettons en avant pendant ces deux jours à Toulouse, même si elles sont modestes – et elles ne le sont pas toutes – peuvent être reproduites partout. «L’effet papillon» peut aussi être positif. Le battement d’aile qui devait déclencher l’apocalypse à l’autre bout de la planète peut aussi générer une dynamique vertueuse. L’heure est venue de renverser la formule de René Dubos, de «penser local pour agir global». La plus petite action locale, reproduite des milliers de fois, peut contenir à terme une partie de la solution. C’est sans doute une des rares bonnes nouvelles de ce début de XXIe siècle.
Martin MALVY