Port du masque : le veto du Conseil d’Etat aux arrêtés municipaux

23 avril 2020

Par Philippe Bluteau, avocat, et Mélanie Bunul, juriste – Cabinet Oppidum Avocats

Depuis le début du confinement, les arrêtés municipaux visant à lutter contre l’épidémie covid-19 ainsi que les litiges portés devant le juge des référés se sont multipliés. C’est dans ce contexte que le maire de Sceaux a pris un arrêté imposant le port d’un dispositif couvrant le nez et la bouche dans les espaces publics à ses habitants âgés de plus de dix ans.

En première instance, l’arrêté a été suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 9 avril 2020, n° 2003905). Le pourvoi formé contre l’ordonnance de suspension a été l’occasion pour le Conseil d’État de se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du maire dans ce domaine et dans les circonstances actuelles de crise sanitaire (CE, ord., 17 avril 2020, n°440057).

Le Conseil d’État rappelle les dispositions en collision à savoir :

  • d’une part, la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-1 modifiant le code de la santé publique et instituant une police spéciale donnant aux autorités de l’État la compétence « pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation»,
  • et, d’autre part, les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales qui « autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune».

Il s’agit donc d’un concours entre la police spéciale de la santé exercée par le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et les préfets d’une part et la police administrative générale exercée par le maire d’autre part. Comment les concilier ?

Le Conseil d’État énonce, certes, que le maire peut « prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ».

En revanche, le Conseil d’État limite les pouvoirs du maire, en considérant que la police spéciale de la santé confiée au Premier ministre, au ministre de la santé et aux préfets « fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Ainsi, les maires peuvent adopter des arrêtés plus stricts que les dispositions étatiques, mais seulement à condition d’établir des raisons impérieuses liées à des circonstances locales et de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par les autorités de police spéciale de la santé.

Or, concernant l’imposition du port du masque, l’ordonnance du Conseil d’Etat rappelle que le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 qui énumère les motifs de déplacement autorisés n’impose pas le port de masques de protection, et ce en raison d’une « stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques ». Le juge considère même que l’imposition du port de masque à une période où une telle mesure n’a pas été édictée par l’État, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises par les autorités de police spéciale de la santé et à introduire de la confusion dans leurs messages délivrés à la population.

Bouche cousue, les maires ne sauraient donc prendre d’arrêté général imposant le port du masque dans la commune.