I. L’évolution juridique de la responsabilité des décideurs publics
Marie-France BEAUFILS a rappelé le cadre de cette interrogation sur l’évolution juridique de la responsabilité des maires, qui fait écho à la condamnation à quatre ans de prison ferme du Maire de La Faute-sur-Mer après le passage de la tempête Xynthia et les inondations qui ont fait 29 victimes. La sénatrice, qui était membre de la mission sénatoriale et s’était rendue en Vendée le surlendemain de la catastrophe, a rappelé le contexte de la condamnation.
Philippe Bluteau est ensuite revenu sur le jugement et ses conséquences. Il convient ainsi de ne pas sur-réagir à ce jugement, qui n’annonce pas une jurisprudence et devrait rester aussi exceptionnel que les faits.
Quatre fautes ont été retenues contre le maire :
- le défaut d’établissement d’un plan de secours depuis l’arrêté préfectoral du 29 novembre 2001 prescrivant le PPRI ainsi que l’absence de plan de sauvegarde ;
- le défaut d’information de la population ;
- la délivrance des permis de construire en violation de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme ;
- le contexte de conflit d’intérêt
Pour autant, ce jugement interroge sur le cadre plus général de la responsabilité des décideurs publics (maires, adjoints au maire, directeurs généraux des services) depuis la loi Fauchon. La sévérité du quantum a ainsi été rendue possible parce que d’autres arrêts ont donné lieu à des condamnations et à des peines élevées.
Le jugement Xynthia peut être le moment d’appeler à une réforme législative, même si la volonté politique de revenir sur la loi Fauchon est loin d’être évidente.
Le problème de la responsabilité des élus a émergé avec le jugement sur l’incendie de la discothèque du 5-7 le 1er novembre 1970 et qui a fait 146 morts. Il s’agit de la première condamnation d’un maire dans le cadre de ses pouvoirs de police. Les élus doivent garder à l’esprit que le maire peut être considéré comme auteur indirect d’une infraction non-intentionnelle, lorsque sa négligence est un des maillons de la chaîne. La loi Fauchon vise typiquement ce cas-là.
Ce que dit la loi Fauchon :
La loi du 10 juillet 2000, dite Fauchon, a ainsi ajouté un nouvel alinéa à l’article 121-3, qui concerne les auteurs indirectes de l’infraction, c’est-à-dire « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter ».
Ces auteurs indirects ne sont pénalement responsables, selon les termes de la loi Fauchon, que s’ils ont commis une faute « qualifiée », c’est-à-dire s’ils ont :
– « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
– soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».
La première hypothèse où la responsabilité des décideurs publics est engagée implique que le juge doit non seulement identifier le texte précis que le prévenu a violé, mais également acquérir la conviction que cette violation fut manifestement délibérée, ce qui réintroduit une notion d’intentionnalité dans le délit non intentionnel. Cette première hypothèse est plutôt protectrice.
La seconde hypothèse dit que la faute doit exposer « autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Les contours en sont plus flous et constituent une porte ouverte à des dérives condamnables. Pendant deux ans, entre 2000 et 2002, les magistrats ont eu une interprétation de cette formule qui restreignait les cas de responsabilité des maires. Après 2003, on est retombé dans une forme d’insécurité. Les maires sont condamnés parce qu’ils auraient pu mobiliser d’autres moyens pour éviter l’accident. Ils doivent épuiser l’ensemble de ces moyens pour ne pas voir leur responsabilité engagée. Plusieurs exemples permettent de le constater.
Le maire d’un petit village de l’Oise de 180 habitants a été condamné pour blessures involontaires de deux enfants, pour avoir organisé un défilé de dix-huit personnes pour la Saint-Jean, avec la fanfare municipale, en centre-ville, sans avoir accompagné cette organisation de précautions suffisantes. Certes, un conseiller municipal était chargé d’ouvrir le défilé, plusieurs dizaines de mètres devant le cortège afin d’alerter les éventuels véhicules venant en sens inverse, mais le véhicule doté d’un gyrophare, traditionnellement utilisé pour le 14 juillet, n’avait pas été mobilisé pour l’occasion et aucun arrêté limitatif de circulation n’avait été édicté. Le fait que le chauffard ayant percuté les enfants circulait sur la voie de gauche, à plus de 100 km/h, après avoir coupé un virage annoncé par un panneau, avec trois pneus totalement lisses n’a pas été de nature à exonérer le maire de sa responsabilité (CA Rouen, 10 septembre 2003, n°02-00782).
L’affaire dite de la « soirée mousse » peut apparaître, dans cette continuité, comme contradictoire avec la volonté du législateur qui avait décidé en 1996 d’obliger les juges à vérifier si le maire a accompli les diligences normales compte tenu des moyens dont il disposait. Dans cette soirée, un jeune s’est électrocuté en raison d’un défaut d’installation du prestataire. Le maire a été condamné bien qu’il ne soit pas l’organisateur de la fête et que l’erreur fatale au jeune homme vienne du prestataire. Surtout, la Cour de cassation confirme un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier qui considère qu’ « un maire se doit d’être d’autant plus présent que sa commune est petite » !
II. Sur l’opportunité de changer la loi
La question est, dès lors, celle de l’opportunité de changer la loi. Ceci n’est pas indispensable si les magistrats respectent l’esprit de la loi. Un exemple peut être trouvé juste après l’entrée en vigueur de la loi Fauchon. Dans une petite commune, deux enfants se sont retrouvés sur un terrain de football où des cages de football étaient posées au sol, sans fixations. Après en avoir relevée une, elle est tombée sur un des enfants. A l’issue de l’accident, les magistrats reconnaissent la faute : les cages auraient dû être fixées ou mises dans un lieu fermé. Cependant, il n’y a pas de volonté délibérée de violation de la loi et pas de faute caractérisée du Maire puisqu’il n’était pas averti. Le maire n’est donc pas condamné pénalement mais la faute civile simple a justifié un dédommagement des victimes. Cependant, les condamnations récentes tendent à démontrer l’inverse.
Plusieurs pistes existent pour changer la loi.
La piste radicale est de supprimer la seconde hypothèse émise par la loi Fauchon. On considère que l’auteur indirect d’une infraction non intentionnelle, le décideur public, ne peut être condamné qu’en cas de première hypothèse.
La solution plus subtile est de favoriser la substitution de la responsabilité pénale des élus par la responsabilité pénale de la commune. Cette éventuelle restriction des conditions d’engagement de la responsabilité pénale personnelle des élus pour négligence pourrait s’accompagner d’un élargissement des cas dans lesquels la responsabilité pénale de la commune, en tant que personne morale, peut être recherchée. Pour mémoire, aujourd’hui, la commune ne peut être poursuivie que pour des faits survenus dans le cadre d’activités susceptibles de délégation de service public. Cette réforme ne serait pas extravagante puisque depuis 20 ans le code pénal reconnaît la possibilité de condamner une personne morale. En 2006, une circulaire du garde des Sceaux incite à recourir à cette voe. Ce peut être une bonne solution.