Déserts médicaux et restrictions budgétaires

10 juin 2015

Alors que le projet de loi Santé, dont la première lecture s’est achevée en avril à l’Assemblée nationale, doit renforcer les mesures pour réduire le nombre et les effets des déserts médicaux, les récentes études parues confirment que les petites villes se trouvent en première ligne dans cette problématique, dans les territoires ruraux aussi bien que dans les zones urbaines sensibles. Par ailleurs, les récentes fermetures de service, qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique de restriction budgétaire en matière de santé, tendent à renforcer l’inquiétude des élus et des habitants quant à la couverture médicale du territoire. En réponse à cette situation, de nombreuses communes ont choisi d’innover afin de maintenir une offre de soins de proximité sur leur territoire.

Les déserts médicaux, un enjeu grandissant dans nos territoires

Si la France ne manque pas de médecins, alors qu’elle compte en moyenne un praticien pour 344 habitants (source INSEE), leur répartition inégale sur le territoire est à la source des déserts médicaux.

En matière de médecins généralistes, une étude de juin 2011 de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Affaires sociales montre que 95% des Français se trouvent à moins de 15 minutes d’un médecin généraliste. Cependant, les 5% restants rencontrent d’importants problèmes d’accessibilité. Le rapport du Sénat Déserts médicaux, agir vraiment de 2012 évaluait ainsi que trois millions de personnes étaient concernées. Autant que le temps d’accès, la disponibilité des médecins pour ces patients est préoccupante, avec des temps d’attente qui augmentent de manière particulièrement forte.

La question des déserts médicaux se pose avec beaucoup plus d’acuité dès lors qu’il s’agit des services d’urgence et des médecins spécialisés, principalement pour ceux exerçant en secteur 1, soit sans dépassement d’honoraires. Le rapport du Sénat de 2012, qui se reposait sur les chiffres de l’Assurance maladie, expliquait ainsi qu’ « alors que le délai d’attente pour consulter un médecin généraliste n’est en moyenne que de 4 jours, il est de 103 jours pour un ophtalmologiste, 51 jours pour un gynécologue et de 38 jours pour un dermatologue. » Toujours selon le rapport, environ 9 millions de personnes vivent dans un désert médical concernant la gynécologie, 8,5 millions pour le secteur de l’ophtalmologie sur la base du critère géographique. Sur la base du critère financier, ce sont respectivement 34 et 28 millions de personnes qui se trouvent dans un désert médical.

Le rapport du Sénat pointait également des perspectives d’évolution inquiétantes et qui ne laissaient pas entrevoir d’amélioration spontanée de la situation. Il affirmait ainsi que « la démographie médicale va connaître un creux dans les dix prochaines années, alors que la population française augmentera. Dans le même temps, la demande de soins tend à augmenter avec le vieillissement de la population, le temps d’exercice médical effectivement disponible se réduit, et les critères du choix d’installation des nouveaux médecins sont défavorables aux zones déjà fragilisées. »

L’un des enjeux principaux de la lutte contre les déserts médicaux se situe autour de l’installation des jeunes médecins qui doivent remplacer ceux qui partent à la retraite et assurer ainsi la perennité de l’offre de soins sur le secteur. Or, ceux-ci rechignent à s’installer dans les territoires ruraux et leurs villes-centres ainsi que dans les zones urbaines sensibles. Une carte du journal Le Monde en 2012, publiée dans l’article Déserts médicaux : les timides propositions de Hollande et Sarkozy, montrait la faible présence des jeunes médecins généralistes dans les zones rurales. Il en est de même les médecins spécialistes libéraux.

De récentes études confirment cette tendance. Plusieurs départements se trouvent menacés par une extension des déserts médicaux en raison de l’absence de renouvellement du personnel médical. De nombreuses petites villes se sont retrouvé en difficulté pour remplacer les médecins généralistes ou spécialistes partis à la retraite.

Le 1er juin dernier, la Gazette des communes a publié une enquête prospective, à l’aide des chiffres du Répertoire Partagé des Professionnels de Santé publié par la DREES, qui visait à établir une liste de départements qui pourraient être concernés par le renforcement ou l’extension des déserts médicaux en raison de départs massifs à la retraite de médecins généralistes et spécialistes et d’un risque d’absence de renouvellement. Alors que les médecins prennent en moyenne leur retraite à 65 ans, la Gazette des communes a constaté que 36 départements ont une part des médecins âgés de plus de 55 ans supérieure à celle de ceux âgés de 30 à 54 ans. Encore plus problématique, 28 d’entre eux se situent déjà au-dessous de la moyenne nationale en termes de densité de médecins (3,04 médecins pour 1000 habitants). Ces départements se trouvent dès lors particulièrement menacés par une amplification du phénomène de désertification médicale. Les 10 départements qui seraient les plus exposés sont la Lozère, la Creuse, l’Indre, l’Yonne, la Nièvre, le Gers, le Cher, le Loir-et-Cher, la Haute-Marne et l’Orne.

Si l’on ne s’attache qu’à la densité de médecins généralistes, seuls 24 départements ont une part de médecins âgés de 55 ans supérieure à celle de ceux âgés de 30 à 54 ans. Cependant, seuls cinq d’entre eux se trouvent au-dessus de la moyenne nationale. La tâche la plus difficile restera le remplacement des médecins spécialistes dans les 5 à 10 ans qui viennent. La Gazette des communes relève ainsi que 52 départements enregistrent une part majoritaire de médecins spécialistes âgés de plus de 55 ans.

Rejoignant peu ou prou les chiffres de la Gazette des communes, le Conseil de l’ordre des médecins a identifié, de son côté, 34 départements « potentiellement en danger ».

De nombreux services de petits hôpitaux menacés

C’est dans ce contexte déjà difficile que s’inscrit la volonté, montrée par les autorités publiques, d’un encadrement de plus en plus restrictif des ressources des établissements de santé. Le plan d’économies de 730 millions d’euros préparé par le ministère de la Santé en est l’illustration. Il prévoit que les dépenses à l’hôpital ne devront pas dépasser 76,5 milliards d’euros, soit 2 % de plus qu’en 2014, pour une évolution de 1,5 milliard d’euros. L’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) avait été fixé à 2,3 % pour l’hôpital dans la loi de financement 2014 de la Sécurité sociale.

En conséquence de cette volonté de limiter les dépenses publiques et d’organiser une restructuration de l’offre de soins selon des critères économiques, d’efficacité et de sécurité, les ARS ont annoncé plusieurs fermetures de services dans les petites villes, tandis qu’un rapport de la Cour des comptes visait les 13 maternités au-dessous du seuil des 500 accouchements. Ces décisions ont suscité plus ou moins d’incompréhension de la part des élus selon les situations. A nouveau, les petites villes sont particulièrement concernées par la fermeture des services dans ces établissements de santé.

Ainsi, à Dourdan, en Essonne, la maternité, pourtant bien au-dessus du seuil des 500 accouchements par an et qui a effectué de substantiels travaux en matière de sécurité, sera définitivement transférée à partir du 1er juillet à Etampes. Cette fermeture inquiète particulièrement les élus alors que le territoire a déjà été affaibli par le départ de médecins généralistes. Un recours a été déposé par l’association de défense et de sauvegarde de l’hôpital de Dourdan et de sa maternité contre une décision qui n’a pas été formalisée par écrit. D’autres maternités de petites villes ont fermé ou sont menacées de fermeture, comme celles de Royan en Charente-Maritime, de Honfleur dans le Calvados, des Lilas en Seine-Saint-Denis ou de Vitry-le-François dans la Marne. C’est enfin également le cas des 13 maternités pointées par le rapport de janvier 2015 de la Cour des comptes, qui considère une « nouvelle phase de réorganisation » du réseau des maternités comme « inévitable. »   

De nombreux autres services de petites villes sont concernés par les restructurations. A Arpajon (Essonne), c’est le service réanimation qui a fait l’objet d’une fermeture, puisque ses huit lits ont été transférés au Centre hospitalier sud-francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes. A Saint-Alban, en Lozère, de fortes coupes budgétaires sont également prévues.

Les petites villes innovent pour répondre à ces problématiques

Face à la problématique de l’accès aux soins et de la diminution des effets des déserts médicaux, de nombreuses petites villes ont choisi d’innover et de s’adapter afin de maintenir une offre de soins de qualité sur leur territoire.

L’un des instruments privilégiés est l’installation de maisons pluridisciplinaires de santé. A Changé, en Mayenne, le maire Denis Mouchel a ainsi inauguré cet espace de santé commun. Il permettra désormais de réunir 16 praticiens, dont quatre médecins généralistes, une sage-femme, trois kinésithérapeutes, un orthophoniste, un podologue, quatre infirmières, un psychologue, un osthéopathe. La mise en place de cette maison de santé pluridisciplinaire est le résultat d’une réflexion engagée en 2008 à la demande des praticiens, alors que deux d’entre eux partaient à la retraite et qu’ils avaient averti des difficultés rencontrées pour trouver un successeur. La pérennisation de l’offre médicale de Changé est devenue un objectif commun entre la municipalité, les villes limitrophes et l’ensemble des praticiens du territoire. A Moncoutant dans les Deux-Sèvres, c’est également dans le but d’éviter une désertification médicale que la municipalité a décidé de créer une maison pluridisciplinaire de santé, inaugurée en 2015. De nombreuses petites villes ont eu recours à ces structures : Beaumont de Lomagne dans le Tarn-et-Garonne, Astaffort dans le Lot-et-Garonne, à Gramat dans le Lot ou Fontainebleau en Seine-et-Marne. D’autres se sont également engagé dans cette voie, comme Forges-les-Eaux en Seine-Maritime ou Nogent-le-Rotrou en Eure-et-Loir.

A la Ferté-Bernard dans la Sarthe, la ville s’est retrouvée confrontée au manque de médecins généralistes. La commune de10 000 habitants a donc décidé de salarier elle-même des praticiens pour les inciter à venir exercer sur son territoire. Cette solution a été choisie après que la ville a échoué à trouver des généralistes pour remplacer ceux qui partaient à la retraite, en faisant le constat que les jeunes diplômés qui optent pour l’exercice libéral, de moins en moins nombreux, s’installent très rarement dans des zones rurales. Dès 2012, le centre municipal de santé s’est autofinancé (il récupère le coût des consultations contre un salaire), et a même affiché un léger excédent. Il s’agit ici d’une mesure qui ne pèse ni sur le budget de la commune, ni sur celui du contribuable

Dans d’autres domaines, les initiatives ne manquent pas pour renforcer l’accès aux soins. A Caumont-sur-Durance dans le Vaucluse, la commune a mis en place, pour la première fois en France, une mutuelle communale qui bénéficie à tous les citoyens. Après avoir circonscrit la situation et les besoins de tous, un comité de pilotage bénévole composé de professionnels (médecins, avocat, assistant social, DGS…) a été constitué pour analyser les droits, les contrats et afin d’établir une grille de critère à l’attention des mutuelles. Une mutuelle intergénérationnelle, c’est-à-dire une mutuelle pour tous, au meilleur tarif avec de très bons remboursements, est apparue indispensable. Pour les habitants souhaitant souscrire à cette mutuelle, les économies peuvent aller de 400€ à 1700€ par an. Pour une multiplication des mutuelles municipales La mutuelle municipale est officiellement en place depuis le 24 septembre 2012.

(carte: Rapport du Sénat, Déserts médicaux, agir vraiment, 2012)