Alors que le projet de loi de finances pour 2025 est en cours de discussion à l’Assemblée nationale, André Laignel, Maire d’Issoudun, Président du Comité des finances locales et Premier vice-président délégué de l’AMF, répond à nos questions.
1. Quels sont les principaux reproches que vous pouvez formuler à l’encontre de ce nouveau projet de budget ?
Le projet de loi de finances présenté par le nouveau gouvernement est inacceptable par les élus locaux et ce, pour au moins trois raisons.
Primo, la ponction sans précédent des finances des collectivités locales est injuste. Les élus locaux votent leur budget à l’équilibre, conformément à la loi, et ne sont donc pas à l’origine des errements budgétaires actuels, notamment en matière de déficit. Aussi, si la dette française s’élève à plus de 110% du PIB, depuis 1982, la dette publique locale est elle restée stable et n’a pas dépassé le seuil des 9% du PIB.
Deuxièmement, les mesures annoncées sont à rebours des engagements pris par les précédents gouvernements envers les collectivités locales. Revenir sur le FCTVA -dont je rappelle qu’il est un remboursement- et sur la compensation de la suppression d’impôts locaux (CVAE) par une fraction TVA abîme grandement les relations déjà difficiles entre l’Etat et les collectivités depuis plusieurs années.
Enfin, la situation budgétaire actuelle n’est pas de la responsabilité des élus locaux mais bien des gouvernements successifs du Président de la République qui ont privilégié les cadeaux fiscaux au profit des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. Ce sont les décideurs nationaux, et non pas les collectivités territoriales, qui ont fait le choix de nationaliser les impôts locaux et d’en faire supporter le coût par le budget général, à hauteur de près de 40 milliards d’euros par an !
2. A combien estimez vous les efforts réels demandés aux collectivités (détaillez) ?
Si le gouvernement affirme que « l’effort d’économies » des collectivités territoriales s’élève à « seulement » 5 milliards d’euros, j’estime pour ma part que la perte de ressources approche voire dépasse les milliards d’euros, soit le double de ce que l’Exécutif avance.
Tout d’abord, le “mécanisme de précaution” institué de manière obligatoire pour les 450 collectivités dont le budget de fonctionnement dépasse les 40 millions d’euros consiste à confisquer 3 Md € de recettes. Mais il ne faut pas croire que seules les « grandes » collectivités seront impactées car assécher les régions, les départements et les EPCI aura forcément un effet ricochet sur toutes les collectivités, et notamment les petites villes.
En outre, l’Etat est revenu sur plusieurs de ses engagements : le plafonnement des recettes de TVA, qui viennent compenser le manque à gagner de la disparition de la fiscalité locale, équivaut à manque à gagner d’au moins 1.2 milliard d’euros auquel on additionne la réduction de 800 millions d’euros du FCTVA, alors que les plans de financement locaux étaient déjà établis et des investissements déjà engagés.
Au-delà de ces 5 milliards d’économies imposées, les collectivités locales vont voir leurs ressources encore diminuées par, premièrement, la coupe de 1.5 milliard d’euros dans le Fonds Vert limitant fortement les investissements en matière de transition écologique mais également le gel des transferts financiers, et en particulier de la DGF, qui représenterait une perte de 3 milliards d’euros induite par la baisse en volume des dotations liée à l’inflation importante que connaissent les collectivités locales. Il faut également ajouter les conséquences du cout de rabot imposé à des opérateurs comme l’ADEME, l’ANRU ou bien les agences de l’eau, qui se fera nécessairement sentir sur les budgets locaux.
Enfin, si l’augmentation des cotisations employeurs à la CNRACL (4 points) prévue dans le PLFSS était confirmée, cela représenterait un coût de 1,2 milliards d’euros (un point de hausse des cotisations représenterait un peu plus de 350 millions d’euros) supportés par les budgets locaux.
3. A votre avis, quels seraient les principaux effets de ce projet de budget sur les collectivités (services publics, investissement …) ?
Ce projet de budget s’ancre dans une politique financière de récession et veut faire des collectivités locales des complices de ce recul, alors que nous devrions être des leviers de la relance économique. Alors que nous représentons 70% de l’investissement public, les mesures budgétaires imposées vont irrémédiablement freiner voire couper nette notre capacité d’investissement. Avec la diminution de 60% de l’enveloppe initiale du Fonds Vert, la transition écologique serait particulièrement touchée, alors que l’institut I4CE estime que le respect des objectifs climatiques de notre pays implique 11 Md€ d’investissements supplémentaires par an d’ici à 2030 pour les collectivités.
Plus généralement, les dépenses des collectivités locales sont vitales pour nos territoires car elles soutiennent très majoritairement un tissu de PME et l’emploi tout en développant des services publics partout et pour tous, face au désengagement de l’Etat. Restreindre les finances des collectivités, ce serait donc restreindre l’accès au service public et la capacité d’action et de soutien des initiatives dans nos territoires.
Crédit photo Christian Guillot.