Assurabilité des communes : une nécessaire mobilisation de tous les acteurs

26 septembre 2024

Les Assises des petites villes à Amboise ont été l’occasion de revenir sur une thématique importante pour de nombreuses communes depuis 2023 : celle de leur assurabilité. Pour en débattre, l’APVF a réuni Eva Kaplanis, Directrice Développement de la SMACL, et Thomas Schramme, Directeur Métier Entreprises, Flottes, Collectivités & Associations de Groupama autour de Frédéric Leveillé, maire d’Argentan. La modération était assurée par Philippe Bluteau, avocat associé du cabinet Oppidum Avocats et conseiller juridique de l’APVF.

L’APVF vous propose un compte-rendu des échanges.

Introduction de Frédéric Leveillé, maire d’Argentan

  • Leveillé a débuté son propos par une présentation de la commune d’Argentan :
    • La commune est dans une situation particulière : il s’agit d’une ville de la reconstruction ;
    • C’est aussi la ville-centre de l’intercommunalité, avec les coûts de centralité afférents.
    • Argentan a été frappé par un sinistre en 2018 : l’incendie d’un gymnase ;
      • En dépit de l’enquête, pas de responsabilité constatée ;
      • Après marché public, la commune n’a reçu qu’une seule réponse, avec coût multiplié par 4.
    • Cette situation appelle à un besoin de mobilisation de la part des collectivités.

Table ronde

Contexte général de l’assurabilité des collectivités : une forte hausse des primes après une décennie de décorrélation entre prime et risque

  • Thomas Schramme (Groupama)
    • Les primes d’assurances ont baissé au cours des 10 dernières années ;
      • La forte concurrence a entraîné une décroissance forte du chiffre d’affaires des assureurs entre 2017 et 2022 ;
      • S’en est suivie une décorrélation entre les primes d’assurance et les coûts des sinistres constatés.
    • Ce cycle a basculé en 2022, avec une forte hausse des primes.
  • Eva Kaplanis (SMACL)
    • Groupama et SMACL déplorent qu’il n’y ait que deux acteurs majeurs sur le marché ;
    • L’enjeu est à la mutualisation des risques, dans un contexte d’émergence de nouveaux risques :
      • Accroissement du risque climatique ;
      • Développement des violences urbaines (épisode de l’été 2023)
        • A noter que si la MAIF n’avait pas refinancé la SMACL à la suite des émeutes, la SMACL n’existerait plus.
      • Il convient de mettre en concordance les tarifs avec les risques et l’inflation – ce qui passe notamment par une concurrence plus affirmée.

Les solutions : une conjonction de propositions impliquant Etat, assureurs et collectivités territoriales

  • EK (SMACL)
    • Ce ne sera qu’une conjonction de solutions qui seront efficaces, pour garantir la continuité du service public.
    • Pistes :
      • Simplification du mode de passation des marchés publics. Pour permettre un dialogue constructif entre collectivités et assureurs.
      • Prévention – à noter qu’il n’existe pas de solutions clefs en main, les spécificités du territoire sont à prendre en compte
        • Embauche d’un gestionnaire de risques, qui a pour charge le suivi et la sécurisation ;
        • Développement de la télésurveillance ;
        • Qui pour prendre en charge ces coûts ?
          • Les plus grandes collectivités ont investi directement à la suite d’importants sinistres
          • Exemple : destruction de l’opéra de Vichy par la grêle.
          • Se pose la question pour les communes de plus petite taille.
        • TS (Groupama)
          • Il faut rendre le marché des assurances attractif pour dépasser le duopole actuel ;
          • Il convient d’améliorer la pédagogie sur l’assurance ;
            • Renforcement vis-à-vis des assurés de l’information sur la sinistralité et sur les mesures de redressement envisageables
            • Stress tests des plans communaux de sauvegarde
          • S’adapter aux nouveaux risques. Désormais, les aléas climatiques représentent 70% des sinistres – il y a 20 ans, 30%.
            • L’Etat doit jouer son rôle ;
            • Il faut développer la coassurance pour un meilleur partage du risque.
          • FL (Argentan) – réaction
            • Concernant les marchés publics :
              • Des évolutions sont nécessaires ;
              • Néanmoins, si les marchés publics sont contraignants, ce sont également des mécanismes de protection pour les communes ;
              • Il existe 28 000 communes de moins de 1 000 habitants : il n’y a pas de problème d’assurance pour ces communes qui négocient de gré à gré.
            • L’Etat a une responsabilité particulière. Un schéma à 3 étages peut être envisagé :
              • Les collectivités peuvent prendre à leur charge la petite sinistralité ;
              • Pour les problématiques plus conséquentes, « il faut que les assurances assurent » ;
              • Enfin, dans les cas particuliers, l’Etat doit répondre présent :
                • Exemple : novembre 2023, dans le département de l’Orne, un coup de vent frappe uniquement à Argentan, ce qui cause un sinistre. Le préfet refuse la déclaration de « catastrophe naturelle », car seule la commune d’Argentan est concernée. Ce sont donc les assurances qui se voient obligées de prendre en charge le sinistre. C’est dans ce type de situations que l’intervention de l’Etat est nécessaire.

Réaction des assureurs au « schéma à 3 étages », sur le modèle de la garantie agricole

  • EK (SMACL)
    • C’est un modèle que défend la SMACL ;
      • La fréquence des très petits sinistres entraîne un coût élevé pour les assureurs ;
      • Sur la « partie centrale », c’est le cœur de métier des assureurs
        • Ex : incendie, dégâts des eaux, vandalisme…
      • Le dernier niveau, celui où l’Etat intervient, est le plus ardu à délimiter :
        • Pour l’assurance patrimoine, il y a une majoration de la prime catastrophe naturelle. L’Etat sait que le modèle actuel n’est pas finançable – il y aura nécessairement de nouvelles majorations ;
        • Outre le volet climatique, il y a le volet troubles sociaux, alors que se succédées les violences en banlieue, les troubles de Nouvelle-Calédonie, et plus récemment les émeutes en Martinique.
      • TS (Groupama)
        • A noter que le modèle de garantie agricole a une particularité : il intervient assuré par assuré. Pour les collectivités, il s’agirait d’un modèle global.
        • Concernant le « risque émeute » :
          • Le coût total en 2023 a été de 793 millions d’euros ;
          • Pour la Nouvelle-Calédonie, il est d’1,5 milliard d’euros, soit quatre fois le niveau des primes sur l’île. Les réassureurs, là encore, souhaitent se retirer.
        • La caisse centrale de réassurance doit jouer son rôle et accompagner les assureurs.

Une piste en dernier recours : le Bureau Central de Tarification

  • Philippe Bluteau
    • Une piste en dernier recours : transposer ce qui existe en matière d’assurance obligatoire, pour les véhicules, pour les médecins… Si un assuré doit s’assurer et ne trouve pas de contrat, il a la possibilité de saisir le Bureau Central de Tarification (BCT), qui définirait montant de la prime et de la franchise auprès de l’assureur désigné. Certes, pour le moment, il n’existe pas d’obligation pour les communes de s’assurer. Mais politiquement, s’assurer est, pour elles, de fait, une obligation (comment envisager que l’école incendiée ne soit pas reconstruite ?). Quid de ce modèle ?
    • TS (Groupama)
      • Le recours au BCT est une fausse bonne idée ;
      • Le BCT est compétent pour les assurances obligatoires et donne une solution d’assurance. Cela doit demeurer une solution exceptionnelle ;
      • Le besoin est avant tout de garantir une concurrence saine.
    • EK (SMACL)
      • Il existe déjà une saisie du BCT par les collectivités pour leur assurance auto. Mais la prime est définie par les assureurs ;
      • Cela contraint les assureurs, qui disposent de seulement 15 jours pour répondre ;
      • Si les assureurs devaient être sollicités en direct par le BCT, ce serait autant de temps en moins pour les collectivités, et ce en laissant la main aux assurances pour la définition du montant des primes.
    • FL (Argentan)
      • Le BCT est un moyen potentiellement coercitif à n’utiliser que dans les cas extrêmes. Il s’agit d’un moyen ultime.
      • Une discussion collective est nécessaire pour régler la totalité des situations.

Questions/Réponses avec la salle

À la suite des violences urbaines de l’été 2023, les franchises ont été réhaussées.

  • Réponse EK (SMACL)
    • La SMACL n’a pas eu d’autres choix, pour garantir la pérennité de son activité, que de décider une hausse des franchises dans le cadre de violences urbaines ;
    • Si la MAIF n’avait pas refinancé la SMACL, après les violences urbaines de l’été 2023, la SMACL aurait disparu ;
    • Il est à noter que les réassureurs ne suivent plus les assureurs sur la question des violences urbaines ;
    • Il s’agit également d’un appel à l’Etat à intervenir, les assureurs n’étant pas seuls capables de couvrir le risque. Un premier signal positif : la mise en place par l’Etat d’un fonds de soutien aux collectivités, ce qui est une première.
  • Réponse TS (Groupama)
    • C’est surtout à partir des émeutes urbaines en Nouvelle-Calédonie que les réassureurs se sont retirés massivement ;
    • Une réponse collective doit être trouvée entre les assureurs, l’Etat et les collectivités.
  • Intervention de Jean-Christophe Erard, Délégué pour la stratégie nationale de résilience auprès des collectivités territoriales renvoie à la Stratégie Nationale de Résilience et les initiatives des communes en matière de prévention des risques. Une plateforme élaborée en interministériel et en lien avec les associations d’élus est accessible sur : snr-elus.cned.fr

Dimension intercommunale : les petites villes poussent pour que les équipements de centralité soient gérés par l’intercommunalité. Est-ce que le risque assurantiel pousse au transfert des équipements et donc de la couverture assurantielle ?

  • FL (Argentan)
    • Léveillé est maire d’Argentan, ville-centre, et président de l’intercommunalité. Le transfert d’équipements à l’intercommunalité n’enchante pas les maires ruraux ;
    • Il y a donc une faible tendance à la mutualisation ;
    • Cependant, le risque assurantiel pour les communes rurales demeure faible, du fait d’un patrimoine plus restreint. Le risque pourrait s’accroître avec le dérèglement climatique ;
    • Il existe une responsabilité propre des élus, avec la mise en place de plans de sauvegarde par exemple ;
    • Dans des communes rurales, il est nécessaire d’avoir de l’ingénierie pour adopter ce type de mesures ;
    • L’intercommunalité peut répondre à ce besoin.
  • Réponse EK (SMACL)
    • Il existe une grande disparité selon les territoires ; néanmoins le levier de l’intercommunalité, par exemple pour engager un gestionnaire des risques, peut être intéressant, à la fois d’un point de vue financier, mais aussi pour disposer d’une approche globale.
  • Réponse TS (Groupama)
    • L’Etat doit aider au financement de la prévention.
  • Michel Loussouarn, maire de Rosporden (Finistère) :. Question : dans quelle mesure peut-on mutualiser le risque au niveau des collectivités, via une cotisation collective ?
    • Réponse EK (SMACL)
      • Il existe déjà des cotisations obligatoires ;
      • Ces cotisations ne sont cependant plus suffisantes ;
      • La difficulté réside dans la fixation de leur montant. L’acceptabilité d’une majoration tarifaire se pose pour les collectivités.
    • FL (Argentan)
      • Il faut souligner une difficulté importante : un assureur qui n’assurerait que des collectivités serait en mauvaise posture ;
      • C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un travail collectif Etat-collectivités-assurances ;
      • Il ne s’agit pas que d’une question financière. C’est un problème politique : que fait la République pour protéger ses territoires ?

 

Télécharger le compte-rendu de l’atelier Assurabilité des Assises des Petites Villes à Amboise