Elections législatives : le choix des assesseurs

27 juin 2024

L’article L.2121-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que « Tout membre d’un conseil municipal qui, sans excuse valable, a refusé de remplir une des fonctions qui lui sont dévolues par les lois, est déclaré démissionnaire par le tribunal administratif » et l’article R. 2121-5 du même code précise que, pour obtenir cette démission d’office, le maire doit saisir le tribunal dans le délai d’un mois après avoir constaté le refus de l’élu de remplir ses fonctions. Cette procédure peut-elle être engagée par un maire confronté au refus d’un conseiller municipal d’assurer la présidence ou les fonctions d’assesseur d’un bureau de vote lors des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet 2024 ?

 

Une obligation légale

En vertu de l’article R.43 du Code électoral, « les bureaux de vote sont présidés par les maires, adjoints et conseillers municipaux dans l’ordre du tableau ». L’usage du mode indicatif (« sont présidés ») établit le caractère obligatoire d’une telle présidence, à laquelle les élus municipaux ne sauraient, sauf excuse valable, se soustraire.

Le Conseil d’État a ainsi jugé que « la présidence des bureaux de vote que doivent assurer les maires, adjoints et conseillers municipaux, en vertu des dispositions de l’article R.43 du Code électoral, constitue l’une des fonctions dévolues à ces élus » par la loi (CE, 21 octobre 1992, n° 138437) ; en conséquence, un conseiller municipal désigné par le maire pour présider un bureau de vote et qui écrit au maire : « Je n’assurerai pas la présidence du bureau de vote le dimanche 22 mars, quelle que soit la tranche d’horaire », sans justifier ce refus par une excuse quelconque, doit être considéré comme ayant expressément déclaré qu’il refuse d’exercer l’une des fonctions dévolues par la loi aux conseillers municipaux et encourt, par conséquent, la perte de son mandat ; c’est donc à bon droit qu’il a été démis d’office de son mandat de conseiller municipal (même arrêt).

Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé qu’il en allait de même de l’exercice de la fonction d’assesseur d’un bureau, sur désignation du maire.

Ainsi, en vue des élections régionales des 14 et 21 mars 2010, un maire avait désigné une conseillère municipale, dixième dans l’ordre du tableau des conseillers municipaux de la commune, comme assesseur d’un bureau de vote. Or, cette élue ne s’est présentée au bureau de vote ni au premier tour, ni au second tour et, en conséquence, le maire a demandé au tribunal administratif de déclarer l’élue démissionnaire d’office.

Dans un premier temps, la cour administrative d’appel de Versailles avait considéré que « si un conseiller municipal peut être amené à participer au fonctionnement d’un bureau de vote en tant qu’assesseur supplémentaire sur désignation du maire, cette fonction, qui incombe au premier chef aux électeurs du département et n’est pas inhérente à l’exercice du mandat, ne peut être regardée comme lui étant dévolue par la loi au sens de l’article L.2121-5 du Code général des collectivités territoriales et justifiant, en cas de refus de l’exercer, la mise en œuvre de la procédure de démission qu’il prévoit »( CAA Versailles, 3 mars 2011, n° 10VE02001). Mais le Conseil d’État a annulé cet arrêt, en adoptant une position radicalement contraire.

Le Conseil d’État rappelle d’abord qu’en vertu de l’article R.44 du Code électoral, si « chaque candidat ou chaque liste en présence a le droit de désigner un assesseur et un seul pris parmi les électeurs du département », par ailleurs, « des assesseurs supplémentaires peuvent être désignés par le maire parmi les conseillers municipaux dans l’ordre du tableau puis, le cas échéant, parmi les électeurs de la commune ». Pour la haute juridiction, il résulte de ces dispositions que « la fonction d’assesseur de bureau de vote qui peut être confiée par le maire à des membres du conseil municipal compte parmi les fonctions qui leur sont dévolues par les lois au sens de l’article L.2121-5  du Code général des collectivités territoriales » et que « dès lors, en jugeant que cette fonction n’était pas inhérente à l’exercice du mandat de membre du conseil municipal et ne pouvait être regardée comme lui étant dévolue par les lois au sens de l’article L.2121-5 du Code général des collectivités territoriales, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit » (CE, 26 novembre 2012, n°349510).

 

Les précautions à prendre par le maire

La démission d’un conseiller municipal ne peut être prononcée par le tribunal administratif que s’il est établi que l’élu aurait refusé d’exercer une fonction qui lui est dévolue par la loi et que ce refus n’est pas justifié par une excuse valable, les règles de priorité pour la composition des bureaux de vote devant, par ailleurs, être prises en compte.

Le refus du conseiller municipal doit avoir été exprimé de façon expresse ou, à défaut, donner lieu à un avertissement préalable de la part de l’autorité chargée de la convocation (CE, 20 février 1985, n° 62778).

C’est au maire qu’il appartient d’établir la preuve de la réception de la demande adressée au conseiller municipal et de l’existence d’un refus formulé de manière expresse par l’intéressé d’exercer les fonctions d’assesseur (CAA Douai, 25 novembre 2010, n° 10DA00587).

Le juge administratif recherche, en outre, si le conseiller municipal auquel il a été demandé d’exercer les fonctions d’assesseur d’un bureau de vote a été désigné conformément à l’ordre du tableau (CAA Bordeaux, 15 février 2011, n° 10BA01311).

La Cour administrative d’appel de Versailles a ainsi jugé qu’il appartient au maire de prouver, lorsqu’il demande à un conseiller municipal de présider un bureau de vote, qu’il a respecté l’ordre du tableau : « d’une part, le maire n’apporte pas la preuve qui lui incombe qu’il aurait, pour désigner l’intéressé en qualité de président de bureau de vote, respecté l’ordre du tableau ; que, d’autre part, il résulte de l’instruction que seulement quatre bureaux de vote devant être organisés, à l’occasion de cette élection cantonale, sur le territoire de la commune de Savigny-sur-Orge, d’autres membres du conseil municipal, qui en compte trente-neuf, auraient pu être désignés alors même que M. X avait exprimé le souhait de se rendre dans les différents bureaux en sa qualité de conseiller général ; que, dans ces conditions, M. X doit être regardé comme justifiant, au sens des dispositions sus-rappelées de l’article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales, d’une excuse valable résultant des manœuvres du maire tendant à le placer dans la situation où il pourrait être déclaré démissionnaire d’office» (CAA Versailles, 16 juillet 2012, n° 11VE02571).

 

Les excuses valables du conseiller

Lorsque l’existence d’un refus ou l’abstention persistante d’un conseiller municipal après avertissement est établi, le juge doit également rechercher si l’intéressé justifie d’une excuse valable.

Cette excuse valable est établie lorsqu’est produit un certificat médical attestant de l’impossibilité, pour le conseiller municipal, d’assurer les fonctions d’assesseur d’un bureau de vote (CAA Versailles, 30 décembre 2004, n° 04VE01719).

Le juge administratif admet la production, en cours d’instance, de justificatifs établissant l’impossibilité pour le conseiller municipal d’exercer ses fonctions, alors même qu’ils n’auraient pas été adressés à l’autorité territoriale.

Dans un jugement du 3 juin 2010, le Tribunal administratif de Melun a jugé qu’un conseiller municipal qui avait informé oralement le secrétariat de la mairie qu’il ne pouvait exercer ses fonctions d’assesseur en raison de l’exercice de son activité professionnelle le dimanche justifie également d’une excuse valable : « Considérant qu’il résulte également de l’instruction que le maire de Courpalay a, en vue de l’organisation du second tour des élections régionales le 21 mars 2010, adressé à M. Y une lettre recommandée avec accusé de réception lui demandant d’être présent de 12h à 14h au bureau de vote ; que M. Y a averti le secrétariat de la mairie par téléphone de son refus d’être présent pour des « raisons personnelles et professionnelles » ; que toutefois, M. Y fait valoir en défense sans être nullement contredit, qu’en sa qualité de commerçant, il travaille le dimanche et ne peut pas se permettre de fermer son commerce ; qu’il fait également valoir que son épouse venait d’accoucher le 11 mars 2010 et qu’il souhaitait pouvoir être auprès d’elle ; qu’ainsi, M. Y doit être regardé comme justifiant d’une excuse valable au sens de l’article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales ; que par conséquent, la requête du maire de Courpalay tendant à faire déclarer M. X Y démissionnaire d’office de ses fonctions de conseiller municipal de la commune de Courpalay doit être rejetée » (TA Melun, 3 juin 2010, n° 1002773).

La solution retenue dans ce jugement ne peut qu’être approuvée puisque l’exercice d’une activité professionnelle à laquelle un conseiller municipal ne peut se soustraire constitue une cause objective le mettant dans l’impossibilité d’assurer les fonctions d’assesseur. Si l’excuse est valable concernant un commerçant – qui est pourtant en principe libre de ses décisions d’ouvrir ou non son commerce le jour de l’élection – elle l’est également, a fortiori, lorsqu’elle est invoquée par un salarié, qui est, lui, placé dans une position de subordination vis-à-vis de son employeur.

Le Conseil d’État a, par ailleurs, jugé que le conseiller municipal justifie d’une excuse valable lorsqu’il établit l’existence de manœuvres consistant en des décisions ou des comportements du maire destinés à provoquer le refus d’exercer des fonctions de président de bureau de vote : « Considérant que la présidence des bureaux de vote prévue par l’article R. 43 du code électoral est au nombre des fonctions visées par l’article L. 2121-5 précité du code général des collectivités territoriales qu’un conseiller municipal est tenu de remplir à peine d’être déclaré démissionnaire d’office par le tribunal administratif en application de l’article R. 2121-5 de ce code ; qu’il ne peut se soustraire à cette obligation que s’il est en mesure, sous le contrôle du juge administratif, de présenter une excuse valable ; que peut être, le cas échéant, regardé comme excipant d’une telle excuse pour l’application des dispositions susrappelées un conseiller municipal qui établit l’existence de manœuvres consistant en des décisions ou comportements d’un maire destinés à provoquer un refus de l’intéressé d’exercer ses fonctions susceptible de le faire regarder comme s’étant de lui-même placé dans la situation où il peut être déclaré démissionnaire d’office » (CE, 21 mars 2007, n° 278437).

L’insistance d’un maire à exiger d’un conseiller municipal sa participation à un bureau de vote, à une date où celui-ci devait participer à une manifestation familiale à caractère exceptionnel, alors qu’aucune difficulté pour l’organisation du scrutin n’existait compte tenu du nombre de de volontaires s’étant manifestés constitue ainsi une manœuvre de nature à caractériser une excuse valable de l’intéressé (CAA Nantes, 2 octobre 2007, n° 07NT01704).

Les principes relatifs à la composition des bureaux de vote doivent également être pris en compte. L’existence de manœuvres de nature à caractériser une excuse valable est établie lorsque le maire persiste à exiger d’un conseiller municipal qui avait signalé son absence le jour du scrutin, sa participation en qualité d’assesseur d’un bureau de vote, alors qu’il n’existait aucune difficulté d’organisation et de fonctionnement et que le manque de volontaires pour assurer cette fonction n’était pas démontré (CAA Nantes, 2 octobre 2007, n° 07NT01704).

 

Philippe Bluteau, Avocat au Barreau de Paris