Alors que le Gouvernement vient d’annoncer la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires à 1,5 % au 1er juillet 2023, Philippe Laurent, Président du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale (CSFPT), revient sur la méthode, le poids budgétaire de cette mesure et les leviers d’amélioration de l’attractivité de la fonction publique territoriale.
1) Que pensez-vous sur la forme de la méthode du gouvernement pour annoncer la nouvelle revalorisation du point d’indice dans la fonction publique ?
En matière de dialogue partenarial et de dialogue social, il me semble que le gouvernement pourrait nettement mieux faire. En l’espèce, plusieurs annonces ont eu lieu lundi 12 juin dernier dans l’après-midi, alors même que la Coordination des employeurs territoriaux, réunie avec le ministre le matin même, n’en avait pas eu communication intégrale. C’est une mauvaise façon de faire qui ne peut qu’engendrer des tensions. Surtout lorsqu’en même temps, d’autres ministres appelaient à la baisse des dépenses des collectivités locales !
De tout cela ressort un manque évident de cohérence, qui appelle une approche beaucoup plus partenariale et globale, fondée sur une permanence des relations et surtout sur la confiance, de la répartition opérationnelle des rôles en matière d’action publique entre l’exécutif national et les exécutifs locaux, et des conséquences qui en résultent en matière d’autonomie fiscale et de gestion. On en est très loin !
S’agissant du dialogue social, même constat d’une forme d’immaturité. Les négociations salariales entre les employeurs et les représentants des agents doivent être systématiques, régulières et transparentes. Elles doivent aboutir à des accords, ou à tout le moins des décisions, applicables à chaque premier janvier et non pas en cours d’année pour ne pas bouleverser les budgets en cours.
C’est ainsi toute une culture gouvernementale qu’il faut faire évoluer dans le management public pour que le pays retrouve une certaine sérénité. Le secteur privé y est globalement parvenu. En la matière, le secteur public est très en retard. Je le regrette.
2) Sur le fond, quelles conséquences sur les budgets locaux des petites villes ? Pensez-vous que les petites villes seront en mesure de verser la prime annoncée par le ministre de la Fonction publique ?
Pour la fonction publique territoriale, le coût global annuel des mesures de point d’indice et d’attribution de points sera de l’ordre de 2 milliards d’euros. Nous ne connaissons pas encore précisément les contours de cette prime, puisqu’un décret est nécessaire pour permettre aux collectivités locales de la mettre en place si elles le souhaitent … et naturellement si elles le peuvent, puisqu’aucune obligation ne peut leur en être faite en dehors de la loi.
Quoiqu’il en soit, compte tenu du montant plafond fixé à 3 250 euros mensuels, plus de 80% des agents publics territoriaux sont concernés, ce qui, potentiellement, peut représenter près d’un milliard d’euros de dépenses supplémentaires.
Le cumul des mesures annoncées, avec la mise en place de la prime, peut représenter environ 10% à 20% de la capacité d’autofinancement d’ une petite ville. C’est donc un impact considérable, dont l’effet ne peut naturellement pas être ignoré alors que vont être lancées les discussions sur le projet de loi de Finances pour 2024. Le gouvernement doit faire preuve de cohérence pour que nos communes soient toujours en mesure de délivrer le service public local qu’attendent leurs habitants, de continuer à développer leurs territoires et de répondre aux immenses enjeux des transitions écologiques et énergétiques.
3) Que préconiseriez-vous pour rendre plus attractive la fonction publique territoriale au-delà de la revalorisation du point d’indice ?
Le rapport que Corinne DESFORGES, Mathilde ICARD et moi-même avons remis à la ministre Amélie de MONTCHALIN en janvier 2022 et qui portait sur l’attractivité de la fonction publique territoriale contenait des propositions de diverses natures.
Il mettait d’abord en avant l’absolue nécessité d’une revalorisation salariale significative, pour tous les agents publics, avec un supplément pour les revenus les plus faibles.
Le rapport proposait également un certain nombre d’adaptations statutaires assez simples, relevant en grande partie du domaine réglementaire et concernant les seuils, les quotas, les déroulements de carrières, le maintien dans l’emploi, etc. Nous souhaitons que l’administration centrale s’empare de ces suggestions de bon sens et lance le travail de concertation et d’élaboration de ces textes réglementaires au plus vite.
Il insistait en outre sur le manque de visibilité des métiers et des opportunités qu’offre la fonction publique territoriale, et la nécessité pour les employeurs territoriaux d’une mobilisation collective sur le sujet : communication, marque employeur, présence dans les lycées, écoles et universités, développement des forums de l’emploi public, etc. J’insiste sur cette dimension collective de l’action : aujourd’hui, chaque employeur peut faire sa promotion et celle de son territoire. Il m’apparaît essentiel d’y adjoindre une dimension « nationale » et collective pour mieux faire valoir les atouts et les spécificités de la fonction publique territoriale, dont chacun reconnaît qu’elle a su parfaitement accompagner la décentralisation des années 1980 à 2005.
Enfin, le rapport abordait plusieurs sujets relatifs à la qualité de vie au travail et qui font globalement consensus sur le principe : protection sociale complémentaire, action sociale, conditions de travail, accès au logement, etc. Ces sujets sont de nature à être discutés entre les employeurs territoriaux (regroupés au sein de la Coordination) et les organisations syndicales, afin d’aboutir à des accords devant ensuite être intégrés à des textes réglementaires : c’est ce qui est en cours par exemple pour la protection sociale complémentaire, et qui représente un vrai progrès en matière de dialogue social dans la fonction publique.
Il y a urgence. Il ne peut y avoir de service public local de qualité sans une fonction publique formée, engagée, compétente et attractive. La responsabilité de la situation actuelle est collective. La réponse l’est également : quel prix sommes-nous prêts à payer pour des services publics locaux performants ?