La Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a lancé, le 16 mars, les premiers Etats généraux de la simplification, depuis la création du CNEN. Cette initiative fait suite à un premier colloque organisé en octobre 2022, sous le haut patronage du Conseil d’Etat et du CNEN, intitulé « La simplification normative ».
Ces états généraux ont été l’occasion pour la Délégation sénatoriale aux collectivités de présenter son récent rapport sur les normes et de débattre de ses propositions pour freiner l’inflation en la matière : « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l’addiction, osons une thérapie de choc ! »
Missionnés par le président du Sénat, Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat et Rémy Pointereau, respectivement présidente et premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales chargé de la simplification des normes, ont présenté, le 26 janvier, leur rapport relatif aux normes applicables aux collectivités territoriales.
L’un des principaux constats du rapport sénatorial : « l’inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais, en outre, elle en augmente significativement le coût ». L’inflation normative est, en effet, génératrice de coûts colossaux pour les budgets locaux : « près de 2 milliards d’euros (…) au cours de 2017-2021 » selon les évaluations de la DGCL, et de 2,5 milliards d’euros selon le rapport d’activité du CNEN publié la semaine dernière.
En introduction de la première table-ronde consacrées aux témoignages et expériences d’acteurs locaux : « Quelles sont les conséquences de l’inflation normative sur l’efficacité des politiques publiques locale ? Quels champs de l’action publique locale faut-il prioritairement simplifier ? », Rémi Pointereau a présenté les résultats de la consultation menée par la délégation auprès élus locaux :
- 4 répondants sur 5 estiment que la situation s’est dégradée depuis les élections municipales de 2020 ;
- 96 % des répondants estiment que la complexité des normes entraine des coûts pour la collectivité ;
- des conséquences multiples et très souvent négatives sur les projets locaux ;
- des normes souvent jugées contradictoires ;
- un accompagnement de l’Etat jugé insuffisant ;
- des interprétations variables selon les agents ;
- l’urbanisme, un secteur jugé prioritaire dans le domaine de la simplification ;
Suite à cette présentation, Yvan Lubraneski, Maire des Molières (Essonne), vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Christophe Bouillon, Maire de Barentin, Président de l’Association des petites villes de France (APVF), Marie-Claude Jarrot, Maire de Montceau-les-Mines, représentante de l’Association des Maires de France (AMF) et Claire Demunck, rédactrice en chef de l’AJCT (Lefebvre-Dalloz), ont partagé leurs expériences.
Après avoir rappelé les résultats d’une enquête Flash réalisée à l’APVF qui corroborent les conclusions de la consultation sénatoriale, Christophe Bouillon a présenté quelques exemples de difficultés rencontrées sur la commune de Barentin en raison de l’application de normes :
1°) Incompatibilité du décret tertiaire avec les normes relatives à l’accessibilité.
L’atteinte des objectifs en termes de réduction des consommations énergétiques de certains bâtiments nécessitent de prévoir une isolation par l’extérieur, mais cela nécessite d’empiéter de 30 cm sur l’espace public (trottoir) et dès lors la largeur du trottoir n’est plus aux normes (inférieur à 140 cm).
2°) incompatibilité entre accessibilité et urbanisme
La mise en accessibilité d’un gymnase nécessite la construction d’une rampe, cependant, le plan de prévention des risques naturels inondation (PPRI) interdit la création d’ouvrage en surélévation empêchant l’écoulement des eaux.
3°) Automatisation du FCTVA
Depuis le 1er janvier 2021, l’automatisation du FCTVA est entrée en vigueur, ce qui avait pour objectif de faciliter la démarche en supprimant le principe déclaratif est malgré tout complexifié car la préfecture exige que lui soit transmis les factures des opérations concernées.
4°) Usage de l’eau de pluie pour les sanitaires des bâtiments publics
En effet, la ville avait envisagé d’alimenter les chasses d’eau des sanitaires de ses bâtiments par de l’eau de pluie ou par l’eau usagée des lave-mains (après traitement) mais la réglementation actuelle empêche les collectivités de déployer ces dispositifs dans de nombreux bâtiments publics comme les écoles et plus généralement les autres établissements recevant du public pendant les heures d’ouverture au public. Un courrier a été adressé au ministre de la transition écologique, lequel a indiqué à la Ville de transmettre notre demande au ministre de la Santé.
De façon générale, l’accès à la norme a un coût non négligeable. Pour pouvoir être certain d’appliquer la norme il faut pouvoir se la procurer et cela est payant notamment que ce soit via l’AFNOR ou le CSTB.
La deuxième table ronde était consacrée aux perspectives/solutions : « quelles solutions mettre en œuvre pour remédier aux défauts actuels de la fabrique de la norme ? ».
Une occasion pour Françoise Gatel de présenter les recommandations du rapport sur l’addiction aux normes imposées aux collectivités territoriales, auxquelles ont réagi Arnaud Bazin, membre du Conseil national de l’évaluation des normes (CNEN), Olivier Renaudie, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne et Patrick Gérard, président adjoint de la section de l’administration du Conseil d’État.
Pour freiner l’inflation normative, les sénateurs proposent d’agir en amont et en aval de l’adoption des normes :
En amont, ils proposent que le gouvernement élabore une étude d’impact « plus sincère, plus objective et mieux contrôlée » de ses projets de loi, en s’appuyant sur le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) ;
En aval, les sénateurs proposent :
– « d’expérimenter, dans les lois à fort impact sur les collectivités territoriales, des clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des clauses “guillotines” » permettant « la disparition pure et simple du texte en l’absence d’une évaluation effective ou en présence d’une évaluation négative ».
– à l’échelon local, « une instance de concertation » associant préfet et élus serait saisie de « tout différend sur l’interprétation d’une norme » permettant à l’État « d’exprimer une position unique » sur l’application du texte. A noter que les élus des petites villes sont, dans leur grande majorité, favorables à l’octroi aux communes de la faculté de saisir directement le préfet afin que celui-ci donne un avis unifié en cas de normes contradictoires.
La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, présidée par Françoise Gatel (Ille‑et‑Vilaine ‑ Union centriste), se félicite de la signature historique par le Sénat et le Gouvernement d’engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités locales.
Cette signature, intervenue en clôture des États généraux de la simplification, marque une étape décisive pour améliorer la qualité des normes. En effet, comme l’a révélé la consultation menée par le Sénat auprès des élus locaux en janvier, l’inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, et en augmente significativement le coût, parfois de façon disproportionnée, notamment pour les petites communes. La Charte reprend les recommandations les plus significatives du rapport Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l’addiction, osons une thérapie de choc ! signé par Françoise Gatel et Rémy Pointereau, au nom de la délégation aux collectivités territoriales.
Seules des actions collectives et coordonnées permettront d’agir efficacement pour enrayer ce phénomène, préjudiciable au développement des territoires. La signature de la charte, en présence du Conseil national d’évaluation des normes, devrait donc donner une forte impulsion pour engager un changement de culture et de pratiques tant au niveau des acteurs politiques que de l’administration, dans le souci de l’efficacité de l’action publique locale jusqu’au dernier kilomètre.
Voir les résultats de la consultation auprès des élus locaux