En janvier 2004 le conseil municipal d’une commune de l’Oise (650 habitants) dépose, au nom de la commune, une plainte pour faux et usage de faux à l’encontre de deux habitants qui avaient lancé une pétition visant à obtenir l’organisation d’un référendum d’initiative locale concernant la gestion de l’eau dans la commune. Cette plainte ayant été classée sans suite, les deux habitants mis en cause déposent à leur tour une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre du maire de la commune, pour diffamation…
En décembre 2007 le maire est condamné à une peine d’amende assortie du sursis et à un euro symbolique à titre de dommages et intérêts. Il demande à la collectivité la prise en charge de ses honoraires d’avocat nécessaires pour sa défense au titre de la protection fonctionnelle, ce que le conseil municipal lui accorde. Une nouvelle plainte est alors déposée contre le maire du chef de prise illégale d’intérêts. En effet l’élu a participé à la délibération lui octroyant le bénéfice de la protection fonctionnelle…
En mars 2011 l’élu est donc condamné pour prise illégale d’intérêts à une nouvelle peine d’amende avec sursis. L’élu sollicite à nouveau le bénéfice de la protection fonctionnelle pour la prise en charge des 4 874 euros de frais d’avocat qui ont été nécessaires à sa défense dans le cadre de cette deuxième procédure. Mais cette fois le conseil municipal refuse d’accorder la protection fonctionnelle au maire. Le tribunal administratif d’Amiens approuve cette décision, ce que confirme la cour administrative d’appel de Douai :
–> en présentant l’objet de la question soumise au vote du conseil et en faisant connaître à celui-ci sa propre appréciation quant à la qualification juridique susceptible d’être donnée aux faits justifiant sa demande de protection, le maire a pris une part active au débat du conseil municipal et a nécessairement influencé le vote des membres de celui-ci ;
–> en sa qualité d’élu local, même d’une commune rurale de mois de 1 000 habitants, l’intéressé ne pouvait ignorer que cette participation active à un débat qui le concernait directement et qui relevait d’un intérêt personnel distinct de celui de la commune, quand bien même la somme en jeu était peu élevée, était constitutif d’un manquement à l’obligation de désintéressement qui s’impose aux personnes exerçant une fonction publique.
–> Et les juges de conclure « qu’eu égard aux conditions dans lesquelles il a été commis et à la fin recherchée, ce manquement a le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions de maire, sans que [le requérant] puisse sérieusement plaider la bonne foi ». C’est donc à bon droit que le conseil municipal a refusé d’accorder la protection fonctionnelle à l’élu.
Ce qu’il faut en retenir :
Si les élus poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions peuvent (comme les agents) demander à la commune la prise en charge de leurs frais de défense au titre de la protection fonctionnelle, c’est à la condition qu’ils n’aient pas commis de faute personnelle détachable de leurs fonctions.
u Présentent le caractère d’une faute personnelle détachable ( et excluent donc le bénéfice de la protection fonctionnelle) des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité.
Un élu qui participe aux débats et/ou au vote de la délibération du conseil municipal se prononçant sur l’octroi de la protection fonctionnelle le concernant se rend coupable de prise illégale d’intérêts. Il commet en outre une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle pour la nouvelle procédure pénale dont il est l’objet.
Rappelons au passage que l’octroi illicite de la protection fonctionnelle peut caractériser le délit de détournement de fonds publics (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2012, N° 11-81476 ; pour un commentaire de cet arrêt voir « Lorsque l’octroi illicite de la protection fonctionnelle vire au détournement de fonds publics » par Bertrand Nuret, avocat spécialiste en droit public, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 47, 26 Novembre 2012, 2382). En l’espèce le président d’une collectivité territoriale a été condamné pour avoir accordé la protection fonctionnelle à un ancien élu poursuivi pour délit de favoritisme dans l’exercice de ses fonctions. Peu importe que la délibération octroyant la protection ait été votée à l’unanimité, avec l’approbation explicite des conseillers de l’opposition. Il pèse ainsi sur la collectivité une obligation d’instruction lors d’une demande de protection d’un élu (comme d’un agent) pour vérifier que l’intéressé n’a pas commis de faute personnelle. Si la protection fonctionnelle est accordée trop facilement (alors que l’élu ou l’agent a poursuivi un mobile d’ordre privé, a eu un excès de comportement ou a commis une faute d’une particulière gravité), non seulement la décision de la collectivité risque d’être annulée par le juge administratif mais d’éventuelles poursuites pénales peuvent être engagées pour détournement de fonds publics.
Cour administrative d’appel de Douai, 24 mai 2017, N° 15DA00805
Article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales