Olivier DUSSOPT, Député de l’Ardèche et Président de l‘APVF et Pierre JARLIER, Maire de Saint Flour et 1er Vice-Président délégué de l’APVF ont écrit vendredi dernier au Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Cohésion des territoires, Monsieur Julien DENORMANDIE, pour demander à ce que les petites villes ne soient pas oubliées du dispositif de revitalisation des centres villes actuellement en gestation.
L’APVF a par ailleurs adressé au Ministère une contribution portant un diagnostic sur la situation et esquissant un certain nombre de propositions.
- Dévitalisation des centres villes : un phénomène global qui touche particulièrement les petites et moyennes villes dans les régions les moins dynamiques
En France, la vacance commerciale progresse dans les centres villes depuis 2010, à raison d’un point par an. Certains territoires sont plus durement touchés que d’autres.
- Des disparités selon la situation géographique
Sur le territoire national, les situations les plus exposées se concentrent dans le nord de la France et dans la « diagonale du vide », soit dans des régions confrontées plus globalement à un déclin économique et/ ou démographique durable. A l’inverse, les situations les plus préservées se rencontrent dans les grandes métropoles et sur le littoral, soit dans les régions en général les plus dynamiques en termes de création de richesse et/ou d’attraction résidentielle, dans la période récente. A noter également, la situation particulière des communes touristiques relativement épargnées par le phénomène.
- Des disparités selon le poids démographique
Des situations contrastées apparaissent selon le poids de population. Les centres villes de petites et moyennes villes (les agglomérations urbaines entre 10 000 et 100.000 habitants) sont les plus affectés par le phénomène avec un taux de vacance commerciale de 12,1 % en 2016. Les centres villes de grandes villes moyennes (les agglomérations urbaines de 100.000 à 250.000 habitants) sont également affectés mais dans une moindre mesure (avec un taux de vacance commerciale de 10,3 % en 2016). Seuls les centres villes de grandes villes (les agglomérations urbaines de 250.000 à 500.000 habitants) et de métropoles (les agglomérations de plus de 500.000 habitants) semblent relativement épargnés par le phénomène (avec respectivement un taux de vacance commerciale de 8,5 % et de 6,9 % en 2016).
Evolution de la vacance commerciale dans les centres-villes
Source : Les Cahiers de l’IVC #1 – La vacance commerciale dans les centres-villes en France
- Des causes multifactorielles
- Des mutations territoriales
1.Un déclin industriel et démographique dans beaucoup de préfectures et sous-préfectures départementales et un tissu économique fragile
Ce déclin s’observe particulièrement dans les villes de plus de 50 000 habitants qui connurent leur âge d’or au XIXème siècle, avec l’industrialisation et l’administration républicaine. Le départ de nombreux équipements publics comme les hôpitaux ou les tribunaux a également joué un rôle important.
A noter aussi, l’erreur que fut la décision d’installer les universités à l’extérieur des villes après 1968…
La plupart des communes de taille petite et moyenne qui se distinguent par un taux de vacance commerciale élevé connaissent aussi un fort taux de chômage, de logements vacants et de pauvreté, ainsi qu’une perte de population. Facteur aggravant, ces communes perdent en général plus souvent que les autres des équipements réduisant notamment leur offre de soins, de loisirs ou le nombre de structures éducatives.
2.Des implantations de commerces plus diffuses, structurées sur une logique d’axe et de déplacements pendulaires
La France rurale et périurbaine est marquée depuis longtemps par un étalement urbain croissant. La périphérisation de l’habitat fragilise les centralités et puisque le commerce suit les évolutions de la spacialisation de la population, il n’est pas étonnant que le commerce suive ce principe d’étalement.
Ces dernières années ont été marquées par l’émergence de boulangeries drive-in, de pharmacies accessibles depuis les ronds-points ou de petits mall commerciaux dupliquant le centre bourg en bordure d’un axe passager. De nombreuses statistiques soulignent, d’une part, une croissance du nombre de commerce de proximité et, dans le même temps, une accélération de la vacance en cœur de ville. La raison est simple : les implantations sont de plus en plus diffuses, se structurant sur une logique d’axe et de déplacements pendulaires. La vacance en centralité n’est pas toujours l’expression d’un signe de mauvaise santé du commerce ou de difficultés économiques mais d’une implantation différente du commerce de proximité.
3.Une paupérisation des centres villes.
Le manque de diversité des logements (petite taille), leur typologie souvent mal adaptée pour les familles, leur vacance fréquente, et parfois leur insalubrité, ont entraîné une réduction de la population et une paupérisation en centre-ville qui abritent surtout les populations les plus précaires : personnes âgées, jeunes, familles monoparentales, famille immigrés… Couplée au phénomène national de périurbanisation et à l’appétence des français pour les maisons individuelles, cette situation entraine une forte réduction des zones de chalandises directes pour les commerces de proximité. Agir pour le commerce, c’est donc aussi restructurer et réhabiliter les logements pour proposer un habitat adapté aux nouvelles exigences en cœur de ville.
Synthèse des déterminants associés à la vacance commerciale des villes-centres selon la mission
IGF-CGEDD
Source : Rapport de la mission IGF-CGEDD « La revitalisation commerciale des centres-villes » juillet 2016
- Des mutations commerciales
1.Une offre supérieure à la demande
Sur la dernière décennie, la France a connu une croissance sans précédent de ses surfaces commerciales. Il existe un découplage entre croissance des surfaces commerciales et croissance de la consommation. Le parc commercial a progressé de 3 % par an alors que dans le même temps, la consommation n’a progressé que de 1,5 % par an.
Huit cent mille mètres carré commerciaux se créent chaque année. Pas moins d’une vingtaine d’ouvertures de centres commerciaux était recensée en 2015. La vacance commerciale résulte donc d’une crise de surproduction de surfaces de vente.
Dans un contexte économique morose et avec, dans le même temps, une hausse de la consommation réalisée sur internet, l’immobilier commercial entre ainsi dans une période de tension forte avec des conséquences évidentes sur le dynamisme des centralités. Le commerce évoluait autrefois dans un modèle où la demande était globalement supérieure à l’offre or aujourd’hui, le rapport s’est inversé. L’offre tend à être supérieure à la demande.
2.Un découplage entre propriété des murs et exploitation commerciale
Le premier facteur explicatif de ce découplage ente croissance de l’offre et croissance de la demande se retrouve du côté de la propriété des murs commerciaux. Depuis dix ans, la production des mètres carrés est assurée par des investisseurs ou des foncières, assez peu par des commerçants, quel que soit leur taille. L’immobilier commerciale tend vers une bulle immobilière puisque la rémunération des investisseur (loyer) augmente alors que la capacité à payer des locataires (commerçants) se réduit. Dans les centres villes, seul 30% des commerçants sont propriétaires de leurs murs. Pour travailler à une stratégie de revitalisation commerciale, il faut donc prendre en compte, outre les commerçants, les propriétaires bailleurs des commerces.
3.L’essor du commerce digital
L’émergence du commerce hors magasin (e-commerce mais aussi circuits courts de commercialisation chez le producteur) oblige à repenser l’action en faveur du commerce. Les chiffres du commerce hors magasin interpellent : 8 à 10 % en alimentaire (en incluant drive et achat chez le producteur), 12 à 15% en équipement de la maison et 20 à 25% en culture-loisirs. Ces tendances impactent le commerce en général qu’il soit de centralité ou de périphérie.
Si la montée en puissance du e-commerce est indéniable, le commerce traditionnel peut pourtant tirer son épingle du jeu grâce à l’atout que constitue précisément le magasin. Les consommateurs souhaitent en effet disposer d’un univers commercial certes connecté et digitalisé mais également bénéficier des atouts du commerce physique : proximité, lien social, conseil personnalisé, authenticité et transparence, traçabilité, possibilité de tester le produit, disponibilité immédiate…
Les attentes nouvelles des habitants coïncident donc avec les avantages qu’offre le commerce de centre-ville. Ceci est d’autant plus vrai pour les séniors qui ont une appétence pour les relations humaines, pour des formats de distribution plus petits, plus sécurisants…
La course à la surface ou à l’armement commercial risque donc de s’essouffler pour se repositionner sur des aspects plus qualitatifs liés à l’ambiance d’achat et à l’ambiance de vie.
- Pour remédier à la vacance commerciale : concilier les quatre fonctions d’une centralité
- L’attractivité résidentielle du centre (maintenir et attirer des habitants)
L’un des tout premiers facteurs de fragilisation des centralités concerne l’habitat. Le taux de vacance des logements ne cesse de progresser dans nombre de cœurs de villes petites et moyennes. Les zones d’habitat s’éloignent du centre ce qui affaiblit la densité de population autour des commerces. Le soutien au commerce de proximité passe donc par une réflexion sur l’habitat pour à la fois densifier et diversifier la population du centre et redonner une singularité au cœur de ville en proposant des innovations pour donner envie d’y vivre (jardins partagés en cœur d’ilots, logements connectés en haut débit…).
D’autre part, la politique de logement est aujourd’hui axée sur la production de logements neufs visant à répondre à la pénurie des métropoles. Mais cette même politique calquée sur tout le territoire a contribué à inonder de logements les zones détendues et a accentué la déprise des centres. L’offre de logements neufs en périphérie des villes, souvent construits grâce à une fiscalité avantageuse vient concurrencer la réhabilitation du patrimoine existant. Il conviendrait d’introduire dans les PLH des dispositions favorisant la réhabilitation du patrimoine par rapport au neuf. Dans le même temps, il pourrait être judicieux d’assouplir les dispositions règlementaires concernant sites patrimoniaux remarquables (SPR) qui renchérissent le coût de la réhabilitation dans les centres historiques.
- L’attractivité économique du centre (maintenir des emplois, notamment tertiaires)
Historiquement, les cœurs de villes ont une fonction de place marchande, de lieu d’échange. Mais au-delà de ces fonctions, le centre est un lieu d’emploi lié à des activités économiques non commerciales. Souvent peu visibles, individuellement de petites tailles, ces activités issues des secteurs tertiaires contribuent fortement à la vie d’un cœur de ville. Or on constate un phénomène d’implantation des pôles tertiaires – avec des bureaux plus agréables et énergétiquement performants – hors des centralités ce qui conduit à une raréfaction de ces emplois en centre-ville.
Restructurer un cœur de ville passe donc par la capacité à gérer la spacialisation des activités tertiaires et à proposer une offre alternative aux déplacements vers les espaces extérieurs. Maintenir ces fonctions économiques nécessite de s’interroger sur le niveau d’attractivité du cœur de ville pour les salariés et les entreprises et de réfléchir à l’échelle intercommunale à la spatialisation économique des fonctions tertiaires.
- L’attractivité urbaine (donner envie de flâner aux habitants et aux touristes)
Il s’agit de développer un sentiment de fierté chez l’habitant, levier essentiel pour favoriser la fréquentation commerciale. Il convient de travailler sur la singularité du centre-ville. Sans cette affirmation identitaire, le centre se banalisera. Il faut donc soigner « l’ambiance de vie » en créant par exemple une chartre d’enseignes et de façades des commerces ou en menant une campagne de réhabilitation des façades d’immeubles. Travailler sur les cheminements, la mise en valeur de l’architecture, du patrimoine ou la mise en lumière s’avère aussi efficace. Il faut garder à l’esprit que les centres commerciaux auront toujours un handicap affectif par rapport aux centres villes…
- L’attractivité en termes de services (proposer une offre non marchande, incluant notamment des services de santé)
Densifier les logements en cœur de ville s’inscrit dans le temps long. A plus court terme, à défaut d’habitants, il est nécessaire de maintenir l’irrigation de la centralité par des flux qui compensent la perte de densité de population de proximité.
Il existe par exemple une tendance à la périphérisation des équipements de services publics qui migrent eux aussi vers des pôles tertiaires extérieur, avec à la clé, des salariés en moins en cœur de ville mais aussi des usagers qui n’ont plus d’obligation de venir en centre-ville. Dans la même logique, le constat est encore plus saisissant concernant les professions médicales : en 10 ans, la part des praticiens implantés en cœur de ville est passée de 80% à environ 50%. Or à l’heure du vieillissement de la population, les professions médicales constitueront encore plus demain des locomotives de flux. Les emplacements commerciaux N°1 pour le commerce de proximité seront à côté des pôles médicaux. Certaines enseignes de distribution alimentaire l’ont bien compris en dotant leurs hypermarchés, non plus de galeries marchandes mais de cabinets médicaux ou de laboratoires d’analyse. Autre exemple : la fréquentation des commerces de centralité s’accroit en général de 20% auprès des habitants ayant des enfants scolarisés dans une école primaire à proximité. Le commerce a besoin de flux et de clientèle pour exister.
- Les outils à mobiliser dans le cadre d’une politique nationale globale
Pour permettre la redynamisation de ces centres-villes, l’APVF appelle l’Etat à amplifier les démarches de contractualisation en privilégiant une approche plus transversale qui permettra aux petites villes de mener à bien leur projet de revitalisation grâce à une approche globale du logement, du commerce, des équipements et des services pour répondre aux besoins des habitants.
L’APVF met en avant une douzaine d’outils à mobiliser dans le cadre de cette politique globale.
- Tout d’abord, lorsque le jeu du marché ne fonctionne pas de manière satisfaisante, il conviendrait d’encourager la création de foncières commerciales publiques-privées pour l’acquisition des murs des locaux commerciaux en déshérence. Ces foncières pourraient être capitalisées par la Caisse des dépôts, des sociétés d’économie mixte (SEM) et établissements publics locaux (EPL) et d’autres banques ou acteurs privés.
- Par ailleurs, restructurer et réhabiliter les logements pour proposer un habitat adapté aux nouvelles exigences en cœur de ville est essentiel. Un dispositif d’intervention immobilière et foncière visant la revalorisation des îlots d’habitat dégradé, incluant des actions d’acquisition, de travaux et de portage de lots de copropriété devrait être accessible aux villes les plus en difficulté.
- De même, la création, l’aménagement ou la rénovation de bâtiments et équipements municipaux ou communautaires liés aux services publics en centres villes (dont les équipements culturels, de santé, sportifs ou de loisirs) doivent être soutenus de manière à renforcer l’attractivité des centres villes.
- Le dispositif « Centre-Ville de demain » de la Caisse des Dépôts doit être élargi. Il ne bénéficie aujourd’hui qu’à 9 sites démonstrateurs alors qu’une cinquantaine de villes présentant des indices de fragilité (vacance commerciale, diminution et appauvrissement de la population, vacance dans le logement…) ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour bénéficier de la démarche.
- Une fiscalité foncière et immobilière incitative en faveur de la centralité (renforcement du dispositif Malraux, TVA réduite…) et ne privilégiant pas le développement périphérique comme c’est aujourd’hui le cas (dispositif Pinel) permettrait par ailleurs de freiner le phénomène de désertification en centre-ville.
- Concernant le logement social, plutôt que de construire des logements neufs en périphérie, il conviendrait d’inciter les bailleurs sociaux à effectuer des opérations de renouvellement urbain dans les cœurs de ville, sur le modèle des Programmes Nationaux de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés (PNRQAD), afin de redonner à ceux-ci une vraie densité de population. L’éligibilité du parc de logements existants aux dispositifs d’appui à l’accession sociale à la propriété pour favoriser la mixité sociale est également nécessaire.
- Un appui à l’ingénierie territoriale est absolument nécessaire pour les petites villes. Les collectivités locales disposent en effet d’une large palette d’outils proposés par l’Etat (ORQAD, ORI, OPAH, Opah-RU, SPR…) et la Caisse des Dépôts pour régénérer leurs cœurs de ville. Néanmoins, ceux-ci ne peuvent être efficaces que si les villes les intègrent dans un projet urbain et disposent par ailleurs d’une bonne ingénierie technique et financière (par exemple pour « monter » les dossiers, conduire des procédures sensibles comme des expropriations, gérer d’éventuels contentieux, etc..).
- A ce jour, le système des appels à projets n’est pas adapté aux capacités d’ingénierie des petites villes qui devraient pouvoir accéder à des guichets uniques d’appui et de soutien, sur le modèle efficace mis en place par l’ANRU au regard des difficultés sociales importante et grandissante dans leurs centres anciens.
- Il apparaît également primordial de mobiliser tous les acteurs du centre-ville dans le cadre d’une gouvernance partagée, afin de mieux coordonner les interventions, mettre en valeur l’offre commerciale existante, organiser des animations, ou encore créer des services pour l’ensemble des commerçants d’un secteur (plateforme internet, logistique urbaine, livraison…). Pour ce faire, il conviendrait de promouvoir dans toutes les villes en difficulté l’embauche de managers de centres-villes dont les missions dépasseraient les prérogatives d’un manager uniquement dédié au commerce. Le développement de ces managers est à encourager par des financements adaptés et par la mise en place d’un véritable référentiel métier et d’une formation diplômante.
- Un engagement de l’Etat de ne pas délocaliser en périphérie des petites villes les services publics historiquement implantés en centre-ville et un appui à la mise en œuvre d’actions ou d’opérations d’aménagement intégrant des équipements publics de proximité est également souhaitable.
- L’outil fiscal mérite également d’être mobilisé. L’APVF appelle à la création de zones franches commerciales dans des périmètres restreints au cœur de petites villes en difficulté. Dans ces zones franches commerciales, il pourrait être institué, au moins à titre temporaire, une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, de cotisation foncière des entreprises et de cotisation sur la valeur ajoutée pour tout commerce de proximité installé dans ces périmètres.
- Enfin, les principes de concurrence et de libre implantation des commerces, pierre angulaire du droit européen, rendent souvent impossible certaines restrictions à la liberté d’établissement de centres commerciaux en périphérie. L’APVF encourage donc le Gouvernement à engager une négociation à l’échelle européenne pour qualifier la protection des centres-villes comme une raison impérieuse d’intérêt général.