Décisions d’urbanisme préjudiciables : le maire peut engager sa responsabilité civile même en l’absence d’intérêt personne

10 mai 2017

Un propriétaire reproche au maire d’une commune des Alpes-Maritimes [1] d’avoir volontairement et systématiquement fait obstruction à son projet de construction d’un lotissement. Estimant que l’élu a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, il recherche la responsabilité personnelle de l’élu devant les juridictions judiciaires sur le fondement de l’article 1382 (devenu entre-temps l’article 1240) du code civil.

En effet s’il a pu finalement obtenir un permis de construire, son projet a été considérablement retardé par de multiples obstacles administratifs : certificats d’urbanisme négatifs, arrêtés de refus de lotir, obstacles à la réalisation des travaux de lotissement, refus de permis de construire… Avant que le juge administratif ne lui donne raison.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne fait pas pour autant droit à la demande indemnitaire du requérant. Elle estime en effet qu’aucune faute personnelle détachable de ses fonctions ne peut être imputée à l’élu :

  1. si le projet de lotissement mené par ce dernier s’est heurté à de multiples obstacles administratifs, tels que des certificats d’urbanisme négatifs et des arrêtés de refus de lotir, d’interruption de travaux et de refus de permis de construire, l’ensemble de ces décisions témoigne de l’appréciation portée par le conseil municipal et, plus particulièrement, par le maire sur le projet en cause, comme étant de nature à nuire à la tranquillité des habitants par un trafic automobile supplémentaire et à créer des difficultés de circulation ;

 

  1.  si cette appréciation a été critiquée par le juge administratif en l’absence de fondement sérieux, il reste que l’élu n’a poursuivi aucun intérêt personnel à la non-réalisation dudit projet immobilier.

Bref, pour les juges d’appel, la circonstance que l’élu n’ait pas poursuivi de mobile d’ordre privé suffit à écarter l’existence d’une faute personnelle.

Pas si vite, répond la Cour de cassation : « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quel qu’en ait été le mobile, les agissements de M. Y… ne revêtaient pas, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils avaient été commis, une gravité telle qu’ils étaient détachables de l’exercice de ses fonctions de maire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Ainsi la circonstance que le maire n’ait pas poursuivi de mobile personnel ne suffit pas à écarter toute faute personnelle de sa part. Encore faut-il s’assurer que l’élu n’ait pas commis une faute d’une particulière gravité.

En cela l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation est dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 30 décembre 2015 n° 391798 & n° 391800) qui a posé trois critères (alternatifs et non cumulatifs) permettant de caractériser l’existence d’une faute personnelle. Selon le Conseil d’Etat, présentent en effet le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions des faits qui :

u  révèlent des préoccupations d’ordre privé ;

u  ou procèdent d’un comportement incompatible avec l’exercice de fonctions publiques ;

u  ou revêtent une particulière gravité, eu égard à leur nature ou aux conditions dans lesquelles ils ont été commis.

En somme la Cour de cassation reproche aux juges d’appel de ne s’être prononcés qu’au regard du premier critère sans s’interroger sur l’existence d’une faute d’une particulière gravité comme les y invitaient pourtant les requérants.

En l’espèce, cela ne signifie pas pour autant que la Cour de cassation estime que l’élu a commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur cette question en recherchant l’existence d’une faute d’une particulière gravité. En cas de réponse positive, l’élu engagera son patrimoine personnel et devra indemniser le requérant.

Rappelons que la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852) considère que les fautes non intentionnelles, même d’une particulière gravité, n’engagent pas la responsabilité civile personnelle de l’élu. Seule la responsabilité de la collectivité peut donc être recherchée en cas d’accident et de poursuites pour homicide ou blessures involontaires contre un élu. La faute d’une particulière gravité suppose ainsi l’intentionnalité de son auteur. De fait, dans l’affaire qui était ici soumise à la chambre civile, le requérant reprochait à l’élu d’avoir volontairement et systématiquement fait obstruction à la réalisation de son projet immobilier.

Il est revanche indifférent que l’élu n’ait recherché aucun intérêt personnel. Appliqué ici au domaine des autorisations d’urbanisme, le même principe peut se décliner dans tous les champs d’action des collectivités territoriales : marchés publics, état civil, pouvoirs de police, ressources humaines, relations avec les associations… autant d’occasions où les élus et les fonctionnaires peuvent engager leur patrimoine personnel si le juge judiciaire leur impute une faute d’une particulière gravité.

Ce qu’il faut en retenir :

 

Un élu ou un fonctionnaire peut engager son patrimoine personnel dans l’exercice de ses fonctions bien qu’il n’ait aucun recherché intérêt personnel. Tel est le cas si le juge estime que les agissements de l’élu ou de l’agent présentent une particulière gravité laquelle suppose, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, une intentionnalité.

 

Article 1240 du Code civil