3 questions à … Emmanuel Vigneron

26 mai 2020

Le Professeur Emmanuel Vigneron, membre du Conseil Scientifique de l’APVF, revient pour nous sur le rôle des petites villes durant la crise sanitaire, sur les enseignements à tirer de cette période exceptionnelles, et sur les mesures indispensables pour lutter contre les inégalités territoriales en matière de santé notamment. 

 

  • Les municipalités, et les petites villes en particulier, se sont retrouvées en première ligne à l’occasion de la crise sanitaire que nous traversons. Comment percevez-vous leur rôle dans la période progressive de déconfinement qui s’annonce?

Les compétences des élus en matière de santé sont minces mais pas en matière de police sanitaire et de santé publique. Du coup, peu au fait des questions de santé, les élus se sont cependant retrouvés en première ligne, chargés de mettre en œuvre des injonctions souvent contradictoires des différents services. Malgré ce cafouillage et l’absence d’interlocuteurs vraiment crédibles, les maires ont fait front. Leur excellente connaissance du milieu, de l’environnement et des habitants de leurs communes leur a permis de rassurer et de tenir bon. L’échelon de proximité a, une nouvelle fois, fait ses preuves et contraste tout de même avec ce qui est souvent apparu comme des effets d’annonces, des coups de menton et parfois même des vantardises face à un événement qui a été subi.

 

  • Beaucoup d’élus ont mis en avant le rôle des services publics, notamment de santé, dans la gestion de crise. Quel rôle accordez-vous aux services publics dans le maillage territorial et pour la protection de la santé de nos concitoyens?

De même que le rôle indispensable des élus de proximité, l’utilité  du réseau des établissements hospitaliers de proximité apparait clairement au cours de cette crise. Ceci vaut bien sur pour tous les services publics qui ont été mis à contribution notamment pour assurer le maintien du lien social en cette période de confinement qui pouvait entraîner un repli sur soi-même préjudiciables aux plus démunis.

 

  • L’APVF défend depuis maintenant longtemps l’importance d’hôpitaux de proximité efficaces et suffisamment dotés, en maternité ou en plateaux entre autres. Quels sont selon-vous les enseignements de cette crise quant au rôle que peut jouer une santé de proximité dans les territoires?

Ces enseignements sont nombreux. Il nous a été répété que les dizaines de milliers de patients accueillis en réanimation ou en soins intensifs et même les cent milles personnes hospitalisées auraient un besoin impérieux de soins de suite et de réadaptation dans les domaines pulmonaires, cardiologiques, infectieux, etc… Or, nous manquons de beaucoup de lits de soins de suite et de réadaptation, ce qu’on appelle aussi le moyen séjour. Le réseau des hôpitaux de proximité en rétraction continue depuis longtemps, progressivement désarmé, accusé de coûts excessifs, et menacé par le système de tarification justement mis en place dans ce but de nettoyage devrait être conforté. Il trouve ici toute son utilité

Mais avant cela, Il nous a été assez dit que le dépistage précoce était un moyen décisif de faire barrage à la contagion épidémique. Aujourd’hui, cette injonction est renouvelée avec l’appel à se faire tester. Mais on voit bien que les prélèvements et les tests sont déficients, qu’ils ne sont pas remboursés, qu’ils font l’objet d’une concurrence acharnée entre offreurs privés et qu’ils ne sont tout simplement pas encore au point malgré les annonces faites. Les établissements publics de proximité pourraient constituer ce maillage idéal des sites de prélèvements, les analyses de laboratoire étant dirigées vers les grands centres où se trouvent des labos de référence. La dépense publique y gagnerait certainement en termes de maitrise des coûts.

Avant cela encore, et l’épidémie a bien reposé cette question, il y a un besoin considérable de prophylaxie et d’éducation à la santé dans notre pays. Il y a aussi le besoin de lutter contre les antivax de tous poils par la délivrance de messages simples et clairs. Ici encore, on voit bien que le maillage existant des établissements de proximité et leurs équipes pourraient être aussi la base de « missionnaires de la santé » au côté des services municipaux de santé pour aller dans les maisons, dans les écoles, dans les entreprises porter ces règles de prévention et assurer cet encadrement sanitaire qui fait défaut.

Au-delà des seuls établissements hospitaliers on voit bien aussi le rôle que peuvent jouer les Centres de Santé Municipaux et les Maisons de Santé. Tout ce niveau de base, qui constitue en outre des portes d’entrée efficaces dans le système de santé devrait être largement soutenu par l’Etat. Il est à craindre que la volonté de réduire encore les couts de la santé en fermant des établissements de proximité ou du moins en continuant de les désarmer ne l’emporte.

 

  • La période de crise sanitaire a mis en lumière un certain nombre d’inégalités sociales et territoriales criantes. Puisqu’il semble que nous soyons amenés à vivre encore quelques temps avec le danger épidémiologique, quelles sont selon-vous les grandes leçons à tirer de la période que nous avons traversée, et quelles sont selon-vous les priorités en termes de politiques publiques ?

La question est vaste tant la situation du service public de santé est catastrophique. On parle des services de réanimation… mais on n’avait plus que 5 000 lits actifs début mars quand on pouvait estimer qu’il en faudrait au moins 20 000. On parle de masques quand il n’y en avait pas et qu’en guise de réponse on disait qu’ils n’étaient pas utiles. On parle de services de réanimation mais la situation est partout ou presque catastrophique…. Regardez la situation de la psychiatrie en France, de la santé scolaire, de la prévention, des inégalités de toutes sortes. Le 1er avril 2010, les ARS ont été mises en place 12 ans après les ARH. Les unes comme les autres ont reçu pour mission officielle principale la réduction des inégalités de santé… Paroles, Paroles. Ceux qui ont cru aux beaux discours sont aujourd’hui bien déçus, bien tristes, en colère et inquiets : loin de se résorber, les inégalités se creusent. Cela va contre les principes constitutionnels d’égalité et de responsabilité de la Nation en la matière. Cela va finalement contre la paix publique et la stabilité du pacte républicain. Comment croire en la République quand elle se montre à ce point défaillante. Et pourtant partout dans le système de santé, des hommes et des femmes maintiennent le navire à flots au prix de mille prouesses, de mille sacrifices, Ils ne croient plus aux mille promesses.

La priorité la plus essentielle en matière de politique de santé me paraît être l’instauration de ce maillage complet du territoire par un réseau de soins gradué et complet. depuis l’éducation à la santé et l’assistance sanitaire jusqu’au soins les plus spécialisés. Nous nous sommes surtout consacrés sous la Ve République au sommet de la pyramide. On s’intéresse dans notre pays bien davantage au soins de très haute technicité, aux robots, à l’intelligence artificielle sans bien toujours voir le côté miroir aux alouettes de ces choses là, fascinés par les paillettes de la technique. Je crois que l’épidémie qui frappe tout et tous a au moins cette vertu de nous ramener à plus de modestie. Intéressons nous à des choses plus prosaïques sans doute mais tout aussi importantes : l’organisation d’un véritable service de santé.

 

  • Alors que le Gouvernement annonce un ”Ségur de la Santé”, qu’attendez-vous de ces annonces, et quelles sont selon-vous les priorités pour une ”refonte du système de santé”? 

C’est un peu difficile d’y croire car il y a eu tant de plans « mirifiques », tant de promesses « fortes », tant de «changements profonds» tant de lois même de « refondation» qui, les ministres passés, ont fini en eau de boudin et souvent très vite. Des annonces permanentes, 1 plan tous les deux ans, 1 loi tous les 5 ans.

C’est un peu difficile aussi d’y croire tant il paraît difficile de pouvoir faire confiance à des gens qui avant-hier étaient déjà là et qui se prétendaient ceci ou cela et qui ont retourné leur veste. Des gens qui se souciaient comme d’une guigne des inégalités sanitaires et sociales quand ils étaient les soutiens convaincus d’une loi précédente. Des gens qui adhéraient aux projets ultra-libéraux de l’hôpital-entreprise et à la tarification à l’activité qu’ils qualifiaient de « vertueuse » et qui qualifiaient la moindre critique d’idéologique ? Peut-on fabriquer le monde de demain avec ces gens d’hier ? D’autre part, on continue de recycler de vieilles scies en faisant référence au plan nommé «  Ma Santé 2022 », lui-même largement décalqué du « Pacte Territoire-Santé » d’une précédente ministre, lui-même recopié des engagements de la loi de 2009, elle-même….Et sic transit gloria mundi

Et cependant, il faut y croire. Il faut y croire parce que nous sommes en République, qu’il faut respecter les gouvernements élus et que nous pouvons agir. Il faut soutenir cette volonté de changement pour que peut-être les actes suivent les paroles. Mais il faut être méfiant : chat échaudé craint l’eau froide ! Et puis il est permis de douter : comment prétendre changer le système de santé sans remettre en cause les fondements du système économique et d’abord la recherche du profit qui fait considérer la demande de santé toujours comme excessive de la part de « consommateurs » irresponsables et qui fait considérer la dépense de santé comme un fardeau qu’il faut alléger par tous les moyens. Souvent ceux qui disent cela n’ont pas les reins brisés par le travail, c’est vrai et ils n’ont pas toujours non plus l’intelligence du cœur.

Je note cependant avec intérêt la présence du quatrième pilier annoncé par le gouvernement :Mise en place d’une organisation du système de santé fondée sur le territoire et intégrant hôpital, médecine de ville et médico-social. Mais, vous savez, on dit cela depuis 1789…et très souvent en plus (cf. E. Vigneron, L’Hôpital et le Territoire. Paris Techniques Hospitalières/FHF, 2017. 298p).Au surplus, la réussite de cette organisation territoriale ne pourra être obtenue qu’en assurant la solidité des trois autres piliers, ce qui est loin d’être acquis ! Quels seront les moyens réellement mis en œuvre une fois passés les discours qui seront prononcés dans deux mois ? Ce quatrième pilier territorial est du reste le seul qui ait quelque chose à voir avec la santé publique.