Trois questions à Didier Bée, Président de la Mutuelle nationale territoriale (MNT)

30 mai 2024

Alors que l’ordonnance du 17 février 2021 a bouleversé le régime de protection sociale complémentaire des agents territoriaux, Didier Bée, Président de la Mutuelle nationale territoriale (MNT) répond à nos questions.

1. Quels sont les grands enjeux selon vous de la protection sociale complémentaire dans la territoriale ?

L’objectif premier, c’est de permettre à l’ensemble des agents territoriaux de bénéficier d’une protection sociale complémentaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui à la différence des salariés du secteur privé. Il est important de souligner qu’en santé 1 agent sur 2 demeure non éligible à une participation employeur, et cela concerne principalement les petites collectivités. Le montant moyen de participation est de 23€ par mois par agent. 80% des collectivités devront délibérer d’ici au 1er janvier 2026. Pour ce qui est de la prévoyance, il reste 4 agents sur 10 non éligibles à une participation employeur. Le montant moyen de participation est assez homogène, 12,85 € par mois par agent.

50% au moins des collectivités devront délibérer d’ici au 1er janvier 2025 en prévoyance suivant le décret n° 2022-581 du 20 avril 2022 « relatif aux garanties de protection sociale complémentaire et à la participation obligatoire des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à leur financement » : les employeurs territoriaux auront l’obligation de participer à hauteur d’au moins 7 euros pour deux garanties minimum (incapacité et invalidité).

De la même façon suivant ce même décret, 80 % au moins des collectivités devront verser en santé au moins 15 euros d’un panier minimal de soins.

La PSC est donc une réforme majeure pour la fonction publique territoriale. Ses répercussions seront nombreuses non seulement pour la santé des agents mais également pour l’attractivité des métiers de la fonction publique territoriale et pour la qualité du service public. Tout doit donc être mis en œuvre pour que cette réforme constitue une véritable avancée sociale fondée sur une solidarité réelle. Le défi est bien sérieux : il faut un dispositif simple, efficace dans la durée, lisible et surtout adapté aux besoins et aux spécificités tant des agents que des employeurs.

2. De quelle façon l’accord du 11 juillet 2023 conclu entre les employeurs territoriaux et les organisations syndicales répond-il à ces enjeux ?

L’accord du 11 juillet 2023 qui rend obligatoire non seulement la participation des employeurs publics locaux à la protection sociale de leurs agents mais impose également à ces mêmes agents l’obligation d’adhérer au contrat en prévoyance, constitue une avancée historique que nous avons saluée dès le lendemain de sa signature. Il s’agit d’un progrès incontestable en matière de prévoyance, car une étape majeure a été franchie avec l’obligation pour tous les employeurs de participer à son financement à hauteur de 50% au moins de la cotisation devenue obligatoire également pour les agents, quand on sait qu’aujourd’hui un peu moins de la moitié des agents territoriaux ne bénéficient pas d’une couverture en prévoyance. Rappelons que le décret du 20 avril 2022 ne prévoit pour l’instant qu’une participation minimale de 7 euros en prévoyance. Il est toujours utile de rappeler que dans la territoriale la prévoyance est essentielle, beaucoup d’agents ignorent encore qu’au-delà de trois mois d’arrêt maladie, ils se retrouvent à mi-traitement. Ces situations constituent des drames individuels dans un versant où près de 80% des agents sont de catégorie C. Il était urgent d’y répondre.

3. Quelles sont les attentes de la MNT pour l’avenir ?

Nous souhaitons que partout en France les employeurs territoriaux et les représentants syndicaux se mobilisent au plus vite pour faire de la PSC une réalité concrète pour les agents territoriaux. Il nous semble donc primordial de les encourager à mettre en place des dispositifs de participation les plus ambitieux possibles pour les agents en termes de solidarité.

Pour ce faire, la première attente, c’est bien sûr la transcription législative de l’Accord du 11 juillet 2023, car beaucoup d’incertitudes et d’inexactitudes demeurent dans ce texte. C’est pourquoi nous souhaiterions qu’un certain nombre de sujets, non traités ou insuffisamment explicités par l’Accord, mais indispensables à sa mise en œuvre soient clarifiés. Des travaux de concertation sous l’égide de la DGCL nous paraissent essentiels pour définir les modalités d’application de ce texte afin que sa transcription dans la loi soit la plus efficace possible, et ce dans l’intérêt premier des agents territoriaux.

Parmi les sujets appelant clarification, je mentionnerai trois thèmes cruciaux :

1/ L’adaptation de la loi Evin du 31 décembre 1989 afin qu’elle s’applique de manière plus large à la fonction publique territoriale. Cela est d’autant plus indispensable pour les contrats en prévoyance qui nécessitent une clarification des modalités de prise en charge des agents en arrêt de travail au début du contrat pour leur garantir une couverture en invalidité. Cela nécessite des règles claires en matière de prise en charge du provisionnement induit.

2/ L’encadrement de ce nouveau marché public afin d’assurer le meilleur choix possible dans l’intérêt de la collectivité et des agents, tant du point de vue de la qualité de l’offre que de celui de la maitrise financière de l’assureur.

3/ Enfin la solidarité effective en santé avec les retraités dans le contexte de hausse des dépenses de santé mérite d’être réétudiée. Le risque de connaitre les mêmes difficultés que le secteur privé, 10 ans après l’ANI, en termes de hausses de cotisations des retraités est avéré. Il pourrait être aggravé par la modification du ratio prévue dans l’Accord qui va agir comme un accélérateur risquant de faire des retraités les grands perdants de la réforme. C’est pour éclairer le futur projet de loi que nous plaidons pour le lancement d’une expertise extérieure indépendante sur les impacts de l’Accord en termes de solidarité réelle entre actifs et avec les retraités. Celle-ci pourrait de plus étudier les modalités de création d’un système de péréquation entre assureurs, qui nous semblerait plus solidaire, transparent et juste.