L’APVF, représentée par son Vice-président, Igor Semo, Maire de Saint-Maurice, a été entendue le 10 janvier dans le cadre des travaux du groupe de travail sur la décentralisation présidé par M. Gérard Larcher.
Cette audition menée par les trois co-rapporteurs, Mme Françoise Gatel, M. Mathieu Darnaud et M. Jean-François Husson, a porté principalement sur trois axes : les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales, la différenciation et la déconcentration. Une occasion pour l’APVF d’insister sur deux aspects fondamentaux de la décentralisation qu’il convient de réhabiliter et de renforcer : l’autonomie financière et l’ingénierie des petites villes.
« Pas de décentralisation sans autonomie financière »
Fer de lance de son intervention, Igor Semo a rappelé que la décentralisation et l’autonomie financière ne peuvent être dissociées. La responsabilité financière des élus vis-à-vis de leurs électeurs est une des composantes fondamentale de la démocratie.
Or, force est de constater que malgré toute l’importance des réformes réalisées, les finances locales demeurent encore très centralisées. L’amplification de ce mouvement de recentralisation financière depuis une dizaine d’années participe de la très nette dégradation des relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales et interroge sur l’avenir de la décentralisation.
Pour l’APVF, c’est la raison pour laquelle tout nouvel acte de décentralisation devra contenir une volet financier ambitieux et que le socle de cette réforme doit être la Constitution.
« Pour une définition plus extensive de l’autonomie financière »
Pour l’APVF, en intégrant les produits de la fiscalité ne relevant pas du pouvoir des collectivités, on majore indûment la valeur du ratio et on masque ainsi la réalité de la détérioration de l’autonomie fiscale des collectivités à coup sûr, et probablement de leur autonomie financière. Pour rappel, la part de la fiscalité avec pouvoir de taux dans l’ensemble des recettes fiscales des collectivités territoriales est passée de 90 % à 50 % entre 1986 et 2021.
Les petites villes sont loin d’être épargnées pas cette détérioration de l’autonomie financière. Il y a eu notamment la suppression de la taxe professionnelle puis, la minoration de la DCRTP durant trois années consécutives – à hauteur de 270 millions d’euros entre 2018 et 2020 – qui a pénalisée de nombreuses petites villes industrielles et ouvrières. De même, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, soit une perte de recette fiscale avec pouvoir de taux qui représentait 5 milliards d’euros pour les petites villes. Notons aussi le financement de la péréquation au sein de la DGF par écrêtement interne de la dotation forfaitaire : la strate des petites villes a le plus souffert de ces écrêtements qui ont concerné, encore en 2022, près de 60 % des petites villes pour un montant moyen de 2,2 euros / habitants, soit un niveau très supérieur à celui des communes rurales et des villes moyennes, et supérieur à celui de l’ensemble des communes.
Parmi les pistes pour renforcer l’autonomie financière, Igor Semo a insisté sur la nécessité de consacrer le principe de compensation intégrale et pérenne de toute suppression/réduction de recette fiscale dans la Constitution. Actuellement, seul le principe de compensation des transferts de charge est consacré dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’admet pas un tel principe pour la compensation de la suppression ou de la réduction d’une recette fiscale : « aucune exigence constitutionnelle n’impose que la suppression ou la réduction d’une recette fiscale perçue par des collectivités territoriales soit compensée par l’allocation d’un montant de recettes comparables » (décision n° 2015-725 DC du 29 décembre 2015). Pour l’APVF, le principe de compensation intégrale et pérenne de toute suppression/réduction de recette fiscale doit être consacré dans la Constitution afin de renforcer l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.
« Rétablir un lien de proximité entre les contribuables et les services locaux »
Pour l’APVF, cette idée ne doit pas être écartée : cet impôt, d’un montant substantiellement inférieur à celui de la TH (environ un quart), viserait à associer aux charges de fonctionnement de la commune les citoyens résidents, et non propriétaires, utilisateurs de services publics. Il pourrait être assis sur les revenus selon des modalités simplifiées, avec pouvoir de taux dans la limite d’un plafond national. Ce scénario, qui avait d’ailleurs été évoqué par la mission Bur-Richard, aurait le mérite de maintenir via l’impôt un lien entre les contribuables locaux et le service public délivré par les collectivités.
Un groupe de travail a été monté à l’APVF pour réfléchir sur le financement des petites villes et les modalités d’une refonte de la fiscalité et des finances locales. Les conclusions seront présentées lors des prochaines Assises de l’APVF.
« Répondre aux besoins d’ingénierie des petites villes : malgré leurs charges de centralité, elles passent souvent à côté des aides à l’ingénierie de l’Etat »
La libre administration des collectivités territoriales suppose en effet, des moyens humains, financiers, mais également techniques. Nombre de petites villes peinent à combler leur déficit en ingénierie malgré la multiplication de l’offre. Elles passent souvent à côté des dispositifs, alors même qu’elles devraient faire partie des bénéficiaires prioritaires en raison de leurs fonctions de centralité.
On oublie souvent que les missions d’ingénierie publique de l’Etat en faveur des collectivités territoriales ont longtemps été considérées comme des missions de service public, et ce jusqu’au début des années 2000. Le ministère de l’équipement s’appuyait, pour répondre à ses besoins d’ingénierie et d’expertise, sur un réseau de services dédiés : les DDE et les DDA offraient aux collectivités locales des missions de conseil et des prestations gratuites en maîtrise d’œuvre. Avec la loi dite « Murcef » de 2001, la plupart des prestations de service de l’Etat sont entrées dans le champ concurrentiel et seules certaines collectivités ont pu continuer à bénéficier, à titre dérogatoire, d’une assistance technique. Comme l’a indiqué Igor Semo, l’aide à l’ingénierie est aujourd’hui trop dispersée, insuffisamment ciblée et ambitieuse au regard des défis de nos territoires.
Un défaut de ciblage : l’aide en ingénierie doit s’adresser avant tout aux collectivités les plus fragiles – qui sont, souvent, aussi les plus petites. Les petites collectivités (sous la barre démographique de 25 000 habitants) disposent de moins d’expertise en interne et souffrent souvent d’une situation financière particulièrement difficile. Or, force est de constater que l’accompagnement sur mesure de l’ANCT bénéficie avant tout aux EPCI (468 EPCI, contre seulement 220 communes, dont la grande majorité sont des communes de moins de 3 500 habitants).
De nombreuses petites villes ayant des fonctions de centralité sont donc écartées. Les petites villes et les bourgs-centre, par leurs fonctions de centralités, jouent un rôle essentiel dans la structuration de l’espace rural en offrant aux habitants de leur bassin de vie une diversité d’équipements et de services indispensables à la vie quotidienne. Or, beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui fragilisés. Il est primordial de soutenir et conforter ces fonctions de centralité, sans quoi c’est tout l’espace rural alentour qu’ils structurent qui risque d’en souffrir. Les programmes Action Cœur de Ville et Petites Villes de demain permettent de combler en partie ce manque d’ingénierie dans certaines petites villes. Néanmoins, ils ne règlent pas le déficit d’ingénierie des petites villes qui ne sont pas bénéficiaires de ces dispositifs et sont donc mises de côté.