Médecin spécialiste en santé publique, Inspectrice générale des affaires sociales, Marine Jeantet a été nommée par le Président de la République en Conseil des ministres du 4 mars 2020 déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
- Avec la crise sanitaire, comment envisagez-vous, très concrètement, la montée de la précarité dans les territoires ?
La crise sanitaire a confirmé le diagnostic sur lequel la stratégie pauvreté était fondée, elle a montré que la lutte contre la reproduction des inégalités garde plus que jamais toute sa pertinence. Elle a accentué les difficultés au quotidien et révélé la vulnérabilité des personnes les plus précaires, inégalités en santé, perte de revenu, perte d’emploi. Ainsi, éviter le décrochage scolaire en luttant notamment contre la fracture numérique, agir résolument pour la formation des jeunes pour favoriser leur accès au marché du travail, inscrire la mobilisation des acteurs au sein des territoires, en fonction des besoins spécifiques et des atouts locaux, sont autant de priorités de la stratégie pauvreté qui restent plus que jamais d’actualité.
Dans la continuité des engagements de départ, des mesures d’urgence ont été prises pour éviter la bascule dans la pauvreté et la survenance de drames humains : indemnisation du chômage partiel, aides exceptionnelles pour les familles et les jeunes, soutien scolaire dans les QPV, fourniture d’ordinateurs, renforcement des moyens de l’aide alimentaire, mise en place de repas à 1€ pour les étudiants, ouverture de places d’hébergement supplémentaires, prolongation de la trêve hivernale, aide au paiement des loyers, etc.
Le plan de relance annoncé en juillet 2020 ainsi que les annonces complémentaires du Premier ministre en octobre 2020, intègrent également plusieurs mesures complémentaires en faveur des personnes précaires : rénovation des centres d’hébergement et développement du logement accompagné, ouverture de places pour les femmes sortant de maternité sans abri et pour les grands marginaux, équipes mobiles pour prévenir les expulsions locatives, soutien à l’investissement et à la transformation du secteur associatif, mise en place du plan #1jeune 1 solution, renforcement des mesures en faveur de l’IAE, aides à la mobilité des demandeurs d’emploi, mise en place du service public de l’insertion et de l’emploi. A ces mesures, s’ajoutent celles prévues dans cadre du Ségur de la santé pour lutter contre les inégalités de santé et renforcer l’offre de soins psychiatriques et psychologiques.
Aujourd’hui, face à cette crise sans précédent, il s’agit donc de poursuivre les chantiers structurels lancés en 2018 en faveur de la petite enfance, des jeunes, de l’insertion et de l’accès aux droits. De nombreuses mesures sont en cours de déploiement, l’accueil du jeune enfant, les petits déjeuners à l’école, la cantine scolaire à 1€, l’obligation de formation pour les 16-18 ans, le suivi des jeunes sortants de l’ASE, la garantie jeune universelle, la lutte contre la précarité étudiante, le déploiement du service public d’insertion et de l’emploi, le plan de formation des travailleurs sociaux, la création de nouveaux points conseil budget.
Il s’agit aussi de poursuivre et de renforcer l’animation régionale mise en place par les commissaires à la lutte contre la pauvreté, sous l’égide des préfets de région : poursuivre les partenariats avec les conseils départementaux, les métropoles et régions, mais aussi consolider les relations avec les communes, grandes ou petites, qui constituent la première porte d’entrée de la demande sociale de proximité et d’urgence : la stratégie pauvreté met à disposition des maires toute une palette d’interventions pour faciliter la réponse aux situations de pauvreté qui sont multiples et auxquels les élus se trouvent très souvent confrontés.
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- En dépit de vos efforts, le rôle de la mission est encore insuffisamment connu des élus locaux, comment remédier à cela ?
Le rôle de la délégation interministérielle est de promouvoir à tous les niveaux les mesures de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et de veiller à son bon déploiement sur l’ensemble du territoire. A cet effet, les rencontres avec les acteurs de terrain et représentants des institutions, élus et associations sont essentielles, comme celle tenue récemment avec l’association des petites villes de France. Elles permettent à la délégation de communiquer sur les mesures phares de la stratégie, d’apporter des outils opérationnels au service des maires et des élus locaux et d’échanger avec ces derniers sur la faisabilité concrète de ces mesures, dont ils sont les maîtres d’œuvre sur leur territoire.
Par ailleurs, dans chaque région, des commissaires à la lutte contre la pauvreté assurent le rôle d’ambassadeurs de la stratégie sur leur territoire et auprès des élus locaux. Ces hauts fonctionnaires, placés auprès du préfet de région, en métropole et outre-mer, assurent la coordination et le pilotage interministériel au niveau régional de la stratégie de lutte contre la pauvreté, en mobilisant l’ensemble des administrations et acteurs concernés. Ils coordonnent aussi les négociations avec les collectivités dans le cadre des contractualisations signées entre l’Etat et ces collectivités sur des actions ciblées. Ils assurent la bonne interface politique avec le secteur associatif, et mènent également, grâce à des crédits dédiés, des financements d’actions territoriales concourant à la lutte contre la pauvreté. En 2020, ils ont ainsi été particulièrement mobilisés sur la coordination de l’aide alimentaire des réseaux associatifs, et le financement de projets locaux dans le cadre d’appels à projet dédiés.
- Comment progresser et faire mieux connaitre les aides en matière de tarification sociale des cantines (« dispositif cantine à 1€ ») et de petits-déjeuners ? Les critères retenus pour en bénéficier ne sont-ils pas trop étroits ?
Il y a un véritable enjeu à faire connaître ce dispositif, qui, j’en suis personnellement convaincue, est un levier essentiel de lutte contre le déterminisme de la pauvreté. Cette mesure permet aux enfants des familles les plus modestes de manger à la cantine pour moins d’1€ par jour. Son utilité a encore été démontrée avec la crise sanitaire, qui, en obligeant les écoles et les cantines à fermer, a mis en exergue l’importance cruciale pour ces familles de pouvoir ainsi offrir à leurs enfants des repas équilibrés quotidiens à faible coût. C’est pourquoi je m’attache à rencontrer les associations d’élus, avec l’appui des commissaires dans leurs territoires, pour faire connaître ce dispositif ainsi que celui des petits déjeuners en maternelle et primaire, et partager avec eux les enjeux de sa mise en œuvre.
Nous allons également mener en ce début d’année une vaste enquête sur la tarification sociale dans les cantines scolaires auprès des communes éligibles (celles bénéficiant de la fraction « cible » de la dotation de solidarité rurale). Cette enquête nous permettra d’appréhender l’ensemble des freins à la mise en place de cette mesure, et d’en déduire tous les leviers à activer pour garantir son déploiement. Les communes vont ainsi être contactées par téléphone pour répondre à un rapide questionnaire, établi sur la base de 25 premiers entretiens approfondis avec les collectivités.
Cette étude nous permettra de déterminer si les critères actuels pour bénéficier de la mesure sont trop étroits. Mais sans attendre les résultats de cette enquête, le Ministre Olivier Véran a donné son accord pour rehausser le soutien financier de l’Etat : depuis le 1er janvier 2021, l’Etat rembourse 3€ (au lieu de 2€ précédemment) par repas servi au tarif maximal d’1€.
De même, depuis le 1er septembre 2020 pour les petits déjeuners, l’aide est passée de 1€ par petit-déjeuner à 1,3€ en métropole et 2€ en outremer.