Jérôme Guedj, membre du Conseil Scientifique de l’APVF, pilote une mission sur la lutte contre l’isolement des personnes âgées en période de confinement et pour l’après COVID-19. Pour l’APVF, il revient sur le sens de la mission et nous livre son analyse.
Quelles sont selon vous les priorités sanitaires, médicales et sociales pour lutter à très court-terme, contre l’isolement des personnes fragiles et isolées en période de confinement ?
La crise sanitaire a mis en lumière cette douloureuse réalité, que les Petits Frères des Pauvres qualifient de « mort sociale » : l’isolement des personnes âgées et fragiles, qui vivent pour certaines une forme de confinement permanent. La priorité, c’est déjà le maintien de l’activité des professionnels du soin et de l’accompagnement : à l’instar des aides-soignantes, ces invisibles de la solidarité constituent bien souvent le premier lien social des personnes âgées, et peuvent parfois faire office de lanceurs d’alerte sur des situations problématiques. Ensuite, il s’agit de repérer et d’aller au-devant des personnes fragiles partout sur le territoire. Pour cela, les mairies, CCAS et départements doivent mobiliser leurs équipes pour lancer une campagne massive d’appels téléphoniques : informer les personnes, recenser leurs besoins et construire un plan d’aide autour de leurs 10 besoins essentiels. La mission que je pilote a développé un certain nombre d’outils en ce sens. Enfin, tout ceci n’aura de sens que si nous poursuivons et amplifions la mobilisation nationale actuelle : familles, voisins, bénévoles, tout un chacun a un rôle à jouer pour multiplier non seulement les gestes barrières, mais aussi les gestes bienveillants.
Vous parlez souvent de voir la vie « avec des yeux de vieux ». Quelles opportunités nouvelles identifiez-vous pour les personnes âgées et isolées, notamment dans « l’après-crise »?
Il s’agira tout d’abord de capitaliser sur les initiatives et solutions déployées sur le terrain lors de la crise : partager les bonnes pratiques et les rendre pérennes pour poser les jalons d’une mobilisation durable. Plus largement, l’opportunité sera de saisir l’après-crise pour prendre conscience que nous sommes pleinement entrés dans la révolution de la longévité. Ce ne sont pas des paroles en l’air : il s’agit d’une transformation massive, quasi-anthropologique, qui suppose un changement de paradigme. Santé, mobilité, logement, évolution des établissements et des services, moyens humains et financiers, priorité donnée à la prévention : nous devons remodeler notre société à l’aune de cet enjeu, de manière transversale et en mobilisant l’ensemble des forces vives. Cette attention à l’autre et aux plus fragiles doit se pérenniser à travers une attention continue aux personnes âgées dans nos politiques publiques.
Quelles sont selon vous les nouvelles orientations que devront prendre les politiques publiques à moyen-terme pour plus de solidarité, notamment envers les personnes fragiles et isolées ?
A l’échelle macro, il nous faut penser de façon plus croisée politiques sociales et de santé, dans un prisme de réduction des inégalités, mais aussi développer une politique ambitieuse de soutien aux engagements individuels et associatifs, en favorisant les solidarités intergénérationnelles. Mais tout cela a une déclinaison concrète dans les territoires. Il me semble fondamental de bien plus intégrer les établissements d’hébergement des personnes âgées à la vie de la cité : pourquoi, par exemple, ne pas jumeler chaque EHPAD de France avec une école ? En termes d’urbanisme, penser une ville adaptée aux personnes âgées, c’est veiller à s’assurer de la présence de toilettes publiques, c’est avoir des bancs publics tous les 300 mètres, autant de solutions qui nous paraissent peut-être risibles mais qui conditionnent la mobilité des plus fragiles et donc leur inclusion sociale.
En cette période de crise, beaucoup d’élus, notamment des petites villes, insistent sur la lutte contre la désertification médicale ou la présence de services publics en proximité. Quel regard portez-vous sur ces demandes au regard de la crise que nous traversons ?
Je partage complètement ce constat : la crise témoigne de l’importance cruciale d’un maillage de services publics, de commerces et de services sociaux, sanitaires et médico-sociaux de proximité. A cet égard, les chiffres publiés l’autre jour par l’Insee sont édifiants : 13% des personnes âgées de plus de 75 ans vivant seules résident dans une commune sans aucun commerce alimentaire généralité, et c’est par exemple le cas de 45% des personnes dans la Meuse ou la Haute-Saône. Dans le cadre de la mission, en lien avec les fédérations, les associations et réseaux d’élus, nous travaillons sur les problématiques très concrètes qui se posent : quid, dans ces conditions, de l’accès à la nourriture, au numéraire ou à des prothèses auditives ? Mais dans l’après, c’est bien à un redéploiement de services de proximité et à la lutte contre la désertification médicale que nous devrons nous atteler.