Une SCI, constituée de personnes appartenant à la communauté des gens du voyage, achète en juin 2011 une parcelle située sur le territoire d’une commune savoyarde (2000 habitants). Alors que la parcelle est classée en zone non constructible [1], la SCI entreprend, sans autorisation, des travaux afin de permettre l’implantation de caravanes.
En mai 2012, la commune fait dresser un procès-verbal d’infraction constatant la réalité des travaux. Elle prend dans la foulée un arrêté d’opposition à la déclaration de travaux déposée entre-temps au motif que la parcelle était située dans une zone protégée et que les aménagements étaient de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements.
Mais en juillet 2013 les travaux reprennent. Après l’établissement de deux nouveaux procès verbaux d’infraction, la commune prend un arrêté enjoignant leur interruption, puis assigne la SCI en référé en démolition des aménagements, remise en état des lieux et enlèvement des caravanes.
La SCI invoque en défense le droit au domicile comme composante du droit à la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Dès lors, l’ingérence dans ce droit, même si elle poursuit un but légitime, doit répondre à un besoin social impérieux et demeurer proportionnée au but légitime poursuivi.
Le Conseil d’Etat (Conseil d’État, 15 décembre 2010, N° 323250) avait déjà eu à se prononcer sur ce point concernant un contentieux opposant des gens du voyage à un maire qui leur avait refusé le raccordement aux réseaux de leurs caravanes installées là aussi sur un terrain non constructible. Le juge administratif avait prôné une appréciation au cas par cas de la proportionnalité de la mesure :
« la décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…) ; Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement, il appartient, dans chaque cas, à l’administration de s’assurer et au juge de vérifier que l’ingérence qui découle d’un refus de raccordement est, compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, proportionnée au but légitime poursuivi ».
En l’espèce la demande tendant à l’enlèvement de caravanes et à la démolition d’aménagements, c’est le juge judiciaire qui était compétent. Et la Cour de cassation adopte la même approche que celle du Conseil d’Etat en vérifiant in concreto que la mesure demandée n’est pas disproportionnée au regard des circonstances de l’espèce. Ainsi fait-elle droit à la commune, faute pour la SCI de démontrer « que ses membres y étaient établis depuis plusieurs années, ce dont il résulte qu’ils n’avaient pas entretenu avec les lieux des liens suffisamment étroits et continus pour qu’ils soient considérés comme étant leur domicile ». L’ingérence de la commune n’est pas donc pas disproportionnée à l’objectif légitime de protection de l’environnement :
" ayant retenu que la SCI, qui avait fait réaliser sans autorisation des travaux d’aménagement sur un terrain qu’elle avait acquis en connaissance de son classement, ne démontrait pas que ses membres y étaient établis depuis plusieurs années, ce dont il résulte qu’ils n’avaient pas entretenu avec les lieux des liens suffisamment étroits et continus pour qu’ils soient considérés comme étant leur domicile, la cour d’appel, qui (…) a pu en déduire (…) que l’ingérence de la commune, qui visait à la protection de l’environnement, n’était pas disproportionnée et que ses demandes devaient être accueillies, a légalement justifié sa décision."
Autant dire que si la SCI avait pu démontrer un établissement de plus longue date de ses adhérents, la commune n’aurait pas pu obtenir l’enlèvement des caravanes. Quand bien même celles-ci auraient été installées en infraction aux règles d’urbanisme. D’où l’intérêt pour les collectivités d’être réactives si elles ne veulent pas que les intéressés puissent invoquer en quelque sorte un « droit acquis » au maintien dans les lieux. Cela suppose de dresser rapidement procès verbal, de prendre un arrêté ordonnant l’interruption des travaux et de saisir en référé le juge judiciaire pour qu’il ordonne l’enlèvement des caravanes et la remise en état du terrain conformément à sa destination.
Ce qu’il faut en retenir :
[-] Le droit au domicile est composante de la vie privée qui est protégé notamment par la Convention européenne des droits de l’homme.
[-] Une commune ne peut porter atteinte à ce droit que si l’ingérence est proportionnée à un objectif légitime comme le respect des règles d’urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l’environnement.
[-] Le juge administratif (pour un refus de raccordement aux réseaux) et le juge judiciaire (pour une demande tendant à l’enlèvement de caravanes ou à la démolition d’ouvrages) se livrent à une appréciation au cas par cas pour vérifier la proportionnalité de la mesure.
[-] En l’espèce le juge judiciaire estime que la commune est fondée à demander l’enlèvement des caravanes implantées en infraction aux règles d’urbanisme dès lors que les intéressés ne peuvent justifier de liens avec les lieux suffisamment étroits et continus pour qu’ils soient considérés comme étant leur domicile.
[-] En cas d’infractions, les collectivités ont donc tout intérêt à être réactives pour ne pas être placées devant le fait accompli. Ainsi il leur appartient :
– d’établir rapidement des procès-verbaux de constatation des infractions ;
– de prendre un arrêté ordonnant l’interruption des travaux ;
– de demander au juge des référés judiciaire la démolition des aménagements, la remise en état des lieux et l’enlèvement des caravanes.
Cour de cassation, chambre civile 3, 7 avril 2016, n°15-15011
[1] Initialement en zone ND (espace boisé classé) du plan d’occupation des sols puis en zone naturelle N (espace boisé classé) du plan local d’urbanisme.