Olivier Dussopt : pour les maires de petites villes, “les grands sujets restent les mêmes”

30 mars 2016

Localtis – Vous avez récemment rencontré Jean-Michel Baylet, vous connaissez bien Estelle Grelier… est-ce que l’arrivée de ce nouveau tandem ministériel en charge des collectivités pourrait esquisser certains changements pour vous et votre association ?

Olivier Dussopt – Pour moi en tant que président de l’APVF, ces nominations ne changent pas fondamentalement la donne par rapport à ce qui s’était construit avec Marylise Lebranchu, avec laquelle nous avions établi une relation de confiance. Les grands sujets, au fond, restent les mêmes.
Sur le terrain des finances, il s’agit bien toujours du niveau des dotations. L’APVF avait d’emblée considéré qu’il était normal que les collectivités participent à l’effort de redressement des finances publiques. Mais nous avons aussi dit que le montant nous semblait trop élevé et le rythme trop rapide. Nous avons d’ailleurs, récemment encore, renouvelé notre demande d’un étalement sur deux ans de la baisse des dotations prévue pour 2017. Nous avons aussi rappelé à quel point l’impact de la baisse des dotations sur la période 2014-2017 se fait sentir sur le niveau d’investissement des collectivités. D’où la nécessité, selon nous, de pérenniser le fonds d’investissement de 1 milliard d’euros créé pour 2016, ainsi que l’abondement exceptionnel de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). C’est d’ailleurs sans doute quelque chose qui est propre à l’APVF : ne pas mettre uniquement l’accent sur ce qui ne va pas, mais aussi se féliciter des mesures positives qui sont prises – cet abondement de DETR, le fonds d’investissement, les dispositions concernant le FCTVA… On peut aussi songer au maintien des aides du fonds de soutien pour les rythmes scolaires.
L’autre grand sujet du moment est naturellement la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). La réforme initiale telle que proposée par le gouvernement ne nous satisfaisait pas. Nous adhérions aux principes annoncés, mais nous nous sommes rapidement rendu compte qu’un certain nombre de communes qui auraient dû être gagnantes ne l’étaient pas. Ainsi, les communes comptant entre 7.000 et 20.000 ou 25.000 habitants sont souvent perdantes en particulier quand elles appartiennent à un EPCI de moins de 100.000 habitants. Et parmi elles, les communes de la strate de 15.000 habitants à 20.000 habitants, la strate 9, sont les plus touchées. C’est là que se situe le principal "trou dans la raquette"…

Sur ce sujet de la réforme de la DGF toutefois, les choses pourraient évoluer…

En effet, le gouvernement relance aujourd’hui le débat. En tant que député, je fais d’ailleurs partie du groupe de travail dédié à cette réforme, commun à la commission des lois et la commission des finances de l’Assemblée. Nous venons, avec les sénateurs qui ont eux aussi constitué un groupe de travail, d’entendre Jean-Michel Baylet sur le sujet. La consigne pour le ministre est d’aller au bout de la réforme, mais avec une ouverture quant à ses modalités. Le cadre, donc, n’est pas figé.

Cela ne risque-t-il pas de relancer les discussions voire les désaccords qui étaient apparus l’an dernier entre les associations d’élus ?

Probablement. Mais il est normal que les différentes associations d’élus locaux défendent les strates qu’elles représentent.

S’agissant de la baisse des dotations, avez-vous là aussi perçu une petite ouverture de la part du gouvernement, y compris de la part de Christian Eckert lorsque celui-ci avait déclaré que les "curseurs" pourraient bouger ?

Fin 2015 en effet, le secrétaire d’Etat au Budget a laissé entendre que l’année 2016 pourrait déboucher sur un ajustement de la baisse initialement envisagée. C’était la première fois que Christian Eckert s’exprimait en ce sens et ce sont donc des propos auxquels nous avons naturellement prêté attention… même si ses déclarations le 25 mars sont plus fermées. J’ai un peu de mal à l’entendre dire que notre situation financière s’améliorerait et en faire une généralité.

Sur le plan institutionnel, le grand sujet du moment pour le bloc local est l’adoption des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), qui doit être intervenue pour ce 31 mars. Que vous disent les remontées de terrain au sein de l’APVF là-dessus ?

Oui, l’actualité, ce sont vraiment les schémas. On constate en tout cas que la situation est très contrastée d’un département à l’autre. Dans certaines commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), les choses se passent très bien. Et que paradoxalement, ce n’est pas forcément là où les fusions les plus importantes sont prévues que c’est le plus difficile. Lorsque cela a achoppé, c’est principalement pour deux types de raisons. Tout d’abord, celles liées aux modalités de concertation. Des difficultés sont ainsi apparues lorsque le préfet a voulu aller trop vite. Ou lorsqu’il a eu la tentation d’avoir d’emblée recours à la procédure du "passer outre", qui l’autorise à ne pas tenir compte de l’opposition des élus locaux. Les raisons tiennent par ailleurs aux questions relatives à la future gouvernance. Lorsque le nouveau périmètre d’une intercommunalité est appelé à inclure un grand nombre de communes, des craintes s’expriment naturellement quant à la prise en compte de la voix chacune de ces communes. D’où le texte de loi de mars dernier autorisant les accords locaux sur la composition des assemblées délibérantes des communautés. Rappelons que ce texte, dont j’ai été le rapporteur à l’Assemblée, faisait suite à décision du Conseil constitutionnel "Commune de Salbris" qui avait censuré cette faculté d’accords locaux au nom du principe d’égalité devant le suffrage. Mais cette loi de 2015 est au final beaucoup moins souple que la loi de 2012 [loi Richard relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération, NDLR]. Et ne résout pas tous les problèmes. Beaucoup de communes ne comptent ainsi qu’un seul représentant au sein du conseil communautaire. Il n’y a guère de solution à cela pour le moment, sachant qu’il faut aussi éviter le risque d’assemblées pléthoriques…

Certaines voix se sont élevées, y compris via des propositions de loi, pour demander un étalement du calendrier de mise en œuvre des schémas, qu’en dites-vous ?

Je suis très réservé sur cette demande, formulée par certains élus, d’un report de l’échéance pour la mise en œuvre des SDCI, à savoir le 1er janvier 2017. Y compris parce que cela aurait de multiples conséquences sur d’autres terrains, les modifications de périmètres ayant naturellement un impact, par exemple, sur la définition des zones de revitalisation rurale (ZRR), les plans locaux d’urbanisme, les Scot… Le ministre Jean-Michel Baylet l’a d’ailleurs récemment rappelé.

Sur les autres volets de la réforme territoriale, quels sont les grands enjeux mis aujourd’hui en exergue par les maires de petites villes ?

Au-delà de la dimension intercommunale, une question importante pour nous est celle de la répartition des compétences entre départements et régions, et donc notamment celle de l’aide que les départements vont pouvoir continuer à apporter au bloc local. La réforme des administrations territoriales de l’Etat représente également un vrai sujet.

L’APVF s’est récemment exprimée sur la nouvelle loi Santé, et plus précisément sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). En quoi la mise en place de ces groupements vous inquiète-t-elle ?

La loi Santé vient, sur plusieurs points, répondre de façon positive à nos attentes en matière d’amélioration de la qualité des soins sur le territoire. Mais nous craignons que la mise en place des GHT se fasse de façon précipitée, sans concertation suffisante, et aboutisse à une concentration excessive de l’offre de soins au détriment des petits hôpitaux et donc des soins de proximité. Nous nous interrogeons aussi sur la place minime qui risque d’être donnée aux élus locaux dans la gouvernance des GHT s’ils sont uniquement associés dans le cadre du "comité territorial des élus".

Les prochaines Assises des petites villes, qui auront lieu les 26 et 27 mai à La Grande Motte, mettront notamment à l’honneur la thématique de l’attractivité et de la redynamisation des centres-ville. C’est une problématique dont il est beaucoup question de toutes parts actuellement…

C’est en effet un enjeu lourd pour les villes de 3.000 à 20.000 habitants, pour lesquelles, notamment, le développement des zones de périphérie a engendré beaucoup de dégâts. On songe évidemment au commerce de centre-ville, mais cet aspect est indissociable d’une dimension plus large du problème, celui de la précarisation des centres-ville, y compris en termes d’habitat. Il est donc important pour nous d’avoir une vision globale, d’articuler les volets commerce et habitat. Cela peut sembler évident mais on l’oublie pourtant parfois : le commerce de proximité ne peut fonctionner que si les habitants sont bien là… Or nombre de centres-ville sont frappés par un problème de sous-densité. Les raisons sont multiples. Y compris la fiscalité des ménages, elle-même liée à la question des charges de centralité…
En matière de commerce, afin que la commune puisse continuer à mener une politique d’appui à la redynamisation du centre, j’ai veillé, en tant que rapporteur de la loi Notr, à ce que la politique locale du commerce et le soutien aux activités commerciales restent dans le champ de définition d’un intérêt communautaire afin que les communes puissent intégrer ces actions dans les plans de rénovation de leurs centres-ville.

Les dispositifs dans ce domaine sont nombreux aujourd’hui… Ne finit-on pas par s’y perdre un peu ?

On assiste en effet à une prolifération des programmes. L’un des objectifs lors des Assises sera précisément aussi de repérer les meilleurs outils, de voir comment les dispositifs peuvent s’articuler au mieux. Y compris, donc, en matière de logement. L’APVF a notamment participé activement à la définition du programme de revitalisation des centres-bourg lancé par Sylvia Pinel. On peut aussi mentionner le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRAQD), dont a par exemple pu bénéficier ma ville d’Annonay avec, à la clef, une intervention couplée de l’Etat, de l’Anru et de l’Anah. La Caisse des Dépôts est également un acteur important sur ce terrain.

L’APVF a tout récemment signé une convention de partenariat avec la Caisse des Dépôts. Quels en sont pour vous les traits saillants ?

Notre partenariat avec la Caisse des Dépôts est un partenariat historique, fidèle. L’un des plus importants pour notre association. Cette nouvelle convention inclut aujourd’hui selon moi deux aspects prioritaires. Il y a l’organisation commune de réunions décentralisées en région. La prochaine a lieu ce 31 mars à Dijon au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, après Nantes, Lyon et Orsay, et sera centrée sur la mise en œuvre de la loi Notr – à la fois sur la rationalisation de la carte intercommunale et sur la complémentarité région-intercommunalité en termes d’aménagement du territoire et de développement économique. Ceci en présence de Marie-Guite Dufay, la présidente de région, et d’Antoine Bréard, le directeur régional de la Caisse des Dépôts. Ce type de rencontres est particulièrement pertinent pour permettre les échanges directs avec et entre les élus. L’autre axe important est de travailler avec la Caisse des Dépôts sur des solutions d’aide aux petites villes – d’aide à l’investissement bien sûr, mais aussi, par exemple à travers des outils tels que les sociétés d’économie mixte à opération unique (SemOp), d’aide à l’ingénierie de projets.

Propos reccueillis par Claire Mallet