Manquements aux règles de sécurité au travail par les collectivités territoriales : il faut attendre l’accident pour pouvoir sanctionner

16 juillet 2015

Manquements aux règles de sécurité au travail par les collectivités territoriales : il faut attendre l’accident pour pouvoir sanctionner !

Les sanctions pénales prévues par le Code du travail en cas de manquements aux règles de sécurité au travail s’appliquent-elles aux collectivités territoriales ?

En juillet 2004, une jeune employée saisonnière de la commune du Grau-du-Roi en qualité de secouriste, surveillante de plage, est victime d’un accident mortel de quad : elle a perdu le contrôle du véhicule, mis à la disposition du poste de secours dont elle relevait, en coupant à travers dune afin de permettre l’ouverture plus rapide de la barrière d’accès à la plage pour une ambulance. Le quad a effectué une vrille et, en retombant, lui a occasionné une blessure mortelle à la tête, qui n’était pas protégée par un casque.

Le maire relaxé, la commune et le secouriste de la SNSM condamnés

Le maire de la commune, la commune personne morale et le chef de secteur pour l’ensemble des plages de la commune de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) sont poursuivis pour homicide involontaire. Il leur est notamment reproché de ne pas avoir fourni de casque à la victime et de ne pas l’avoir formée à la conduite du quad.

Le tribunal correctionnel de Nîmes relaxe le maire. Il condamne la commune à 10 000 € d’amende et le secouriste de la SNSM à trois mois de prison avec sursis, avec exclusion de la condamnation du bulletin numéro deux du casier judiciaire.

Ni casque, ni formation

Seul ce dernier fait appel du jugement. En vain : les juges d’appel relèvent en effet que lors de l’achat du quad, engin particulièrement dangereux de par son poids (254 kg) et sa puissance (43 cv), il a été spécifié par le vendeur que le port du casque était recommandé (c’est même obligatoire !) de même que la projection de la cassette de formation. Or le prévenu a lui-même décidé de ne pas acheter de casque de protection, et n’a procédé à aucune formation à la conduite de l’engin. Pourtant, poursuivent les juges, il ne pouvait pas ignorer que les sauveteurs étant appelés à intervenir dans l’urgence, ils pouvaient avoir à l’utiliser à une vitesse plus grande et dans des circonstances autres que celles initialement prévues.

Le prévenu se pourvoit en cassation, sans succès : quand bien même les infractions spécifiques prévues par le Code du travail ne sont pas applicables aux collectivités territoriales, ces dernières ne peuvent pas s’affranchir des règles de sécurité qui en découlent : si les manquements constatés ont contribué aux dommages subis par l’agent, ce seront autant d’éléments à charge qui seront retenus par le juge.

La Cour de cassation aurait d’ailleurs pu expressément s’appuyer sur les dispositions de l’article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984 (1) pour étayer son raisonnement. En effet, il en résulte que les règles en matière d’hygiène et de sécurité définies par les livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application sont pleinement applicables aux collectivités territoriales.

Ne sont en revanche pas applicables aux collectivités territoriales les livres VI à VIII de cette même partie IV du Code du travail relatives à l’organisation de la prévention, aux fonctions compétentes en santé et sécurité, aux modalités de contrôle et aux sanctions pénales en cas de manquement. D’où l’ordonnance de non lieu rendue sur ce point par le juge d’instruction.

Les failles du contrôle du respect des règles de sécurité au travail dans les collectivités territoriales

En effet, hormis l’infraction spécifique de mise en danger délibérée de la vie d’autrui prévue par le Code pénal (2), aucune infraction relative à la sécurité des agents ne peut être relevée dans une collectivité tant qu’il n’y a pas eu d’accident. L’inspecteur du travail n’a pas compétence pour verbaliser l’employeur public comme il peut le faire, à titre préventif, dans une entreprise privée lorsqu’il constate un manquement.

Dans les collectivités c’est l’autorité territoriale elle-même qui désigne en son sein les agents chargés des fonctions d’inspection (ACFI) ou qui confie cette mission, par convention, au centre de gestion. Dans les deux cas, ces agents ont certes accès à tous les locaux et documents nécessaires à leurs missions, mais n’ont, contrairement aux inspecteurs du travail, aucun pouvoir de coercition. Ils ne peuvent ni mettre en demeure l’employeur, ni encore moins dresser procès-verbal. Ils n’ont qu’un simple pouvoir de recommandations.

Pour autant les rapports qu’ils rédigent ne sont pas dénués de tout effet juridique : si un accident aurait pu être évité par la mise en œuvre de leurs préconisations, le juge en tiendrait compte comme élément à charge. Mais là encore, il faut attendre l’accident pour pouvoir sanctionner une politique de prévention défaillante. Sauf à démontrer une mise en danger délibérée de la vie des agents. Il est vrai que l’autorité territoriale, préalablement alertée par l’ACFI ou par l’agent du centre de gestion, pourrait alors difficilement prétendre ne pas avoir eu conscience du danger auquel elle exposait les agents…

 

Ce qu’il faut en retenir :

  • Les sanctions pénales prévues par le Code du travail en cas de manquements aux règles d’hygiène et de sécurité ne s’appliquent pas aux collectivités territoriales.
  • Pour autant en cas d’accident le juge retiendra ces manquements comme élément à charge s’ils ont joué un rôle causal dans la réalisation du dommage.
  • En somme dans une collectivité territoriale, il faut attendre l’accident pour que les manquements aux règles de sécurité puissent être pénalement sanctionnés (rien n’interdit en revanche de sanctionner disciplinairement les agents fautifs). Une seule exception : la mise en danger délibérée de la vie d’autrui qui suppose une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement exposant les agents à un risque immédiat de mort ou d’infirmités graves.
  • La mise à disposition d’un quad aux agents comme outil de travail ne doit pas se faire à la légère : le port du casque est obligatoire et l’agent doit être titulaire des permis requis (voir référence ci-après). Le permis ne dispense pas l’employeur de mettre en place une formation pratique complémentaire, surtout si, comme en l’espèce, le véhicule doit être utilisé dans des conditions spécifiques (franchissement de dunes et rapidité d’intervention). Rappelons que dans un autre jugement impliquant un quad (suivre le lien proposé en fin de page sur l’effet juridique des consignes données à l’oral), il avait été reproché à la collectivité de ne pas avoir traduit et communiqué à l’agent utilisateur la notice d’information (rédigée en anglais) sur les conditions d’utilisation du véhicule.

 

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mai 2015, N°13-80345 (arrêt en téléchargement sur le site de l’Observatoire SMACL)

 

  1. Reprises par l’article 3 du Décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail.
  2. Qui suppose la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi exposant autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.

 

Références

- Article 108-1 de la loi du 26 janvier 1984

- Article 3 du décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale

- Article 221-4 du code de la route (différentes catégories du permis de conduire)

- Article 221-7 du code de la route (équivalences de permis)

- Article R431-1 du code de la route (port du casque obligatoire pour la conduite de quad)

- Article 223-1 du code pénal (mise en danger délibérée de la vie d’autrui)